18 juin 2013
Loin du bruit

Son nom était peu connu du grand public. Avec cette idée de « vouloir trouver le nouvel auteur qui ne m’apportera pas la fortune mais dont on parlera dans dix, vingt ans », Maurice Nadeau semblait être un des derniers mohicans de l’édition, refusant toute compromission depuis que ce fils d’une femme de ménage analphabète et d’un père mort jeune au cours de la Première Guerre mondiale avait choisi de consacrer sa vie aux livres. Elle fut longue – 102 ans – et intense jusqu’au dernier moment puisque ses derniers mois lui permirent de sauver la Quinzaine Littéraire, le magazine qu’il avait créé en 1966 et menacé, une nouvelle fois, de disparaître faute de moyens financiers malgré la qualité de l’écriture et de la pensée servies par des centaines d’écrivains, universitaires ou  journalistes. De quoi sans doute partir avec le sentiment du devoir accompli pour cet homme qui, par ailleurs, permit aux Français de découvrir Jack Kerouac,  Henry Miller, Malcolm Lowry, et les auteurs français Georges Perec, Roland Barthes ou encore Michel Houellebecq dont il publia le premier roman Extension du domaine de la lutte en 1994. Résistant -cela devait être dans ses gènes- il avait été de l’aventure de Combat avec Camus, y faisant connaître Georges Bataille, René Char, Henri Michaux, Claude Simon tout en prenant la défense de Céline. Ce sera ensuite France Observateur, L’Express de Françoise Giroud, la signature du Manifeste des 121 avec Sartre. La littérature? C’était pour ce déçu du communisme la meilleure chose  pour « essayer de comprendre le monde tel qu’il est, tel qu’il marche, avec toutes ses saloperies, tous ses côtés intéressants aussi ». Chaque quinzaine, il était là pour donner vie à cette revue tout en continuant à diriger sa maison d’édition dont il était le détecteur solitaire, avec un flair légendaire -il n’était passé qu’à côté de Samuel Beckett- à moins qu’il ne se promène dans le jardin du Luxembourg. Avec lui, c’est « un juste » du monde littéraire qui disparaît. Puisse sa revue lui survivre longtemps…

Par April Wheeler

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