1 mars 2022
Lohengrin mis en astres et en images par François Girard au Met

Dans la vaste salle de près de 4000 sièges, l’obscurité se fait tandis que les premiers frémissements éthérés du Prélude de Lohengrin se font entendre. Sur le rideau de scène, un globe lunaire est en rotation. Ce sera un jalon de tout le spectacle. L’astre prendra à l’occasion des teintes rougeoyantes, dans certaines épisodes plus dramatiques. La nouvelle mise en scène de Lohengrin de François Girard au Metropolitan Opera de New York, dix ans après un Parsifal coproduit avec l’Opéra de Lyon – les deux ouvrages de Wagner sont d’ailleurs liés, puisque dans la généalogie de la légende arthurienne le premier est le fils du second – prend d’abord le parti de l’illustration : l’impact visuel, avant les explorations et les interrogations théâtrales.

Sous les lumières de David Finn, la scénographie de Tim Yip s’articule autour d’un espace unique placé sous un oculus dont l’inclination varie au fil du drame, et dans lequel Peter Flaherty injecte des projections vidéos mêlant au cosmique des irradiations plus traditionnelles pour le Graal ou le battement d’ombres d’ailes lors de l’arrivée du cygne. Entre vert, blanc et rouge, les couleurs des costumes et des éclairages jouent la carte d’une lisibilité symbolique presque primaire, entre pouvoir, innocence et trahison vengeresse, sur un plateau où la lignosité s’infiltre jusque dans le trône de justice du roi. D’aucuns rappelleraient que le spectacle de François Girard était à l’affiche du Bolchoï le jour de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et que la première au Met se tient presque un an jour pour jour plus tard – l’avant-veille l’institution new-yorkaise avait organisé un concert pour ce tragique anniversaire. Il reste qu’aux tentations d’iconoclasme herméneutique souvent en cour à Bayreuth, le travail du Québécois préfère, dans un tropisme peut-être influencé par sa carrière de réalisateur, une plasticité quasi-cinématographique propice à la diffusion sur écrans le samedi 18 mars prochain, où les gros plans pallieront une direction d’acteurs efficace autant que banale.

Magistral Lohengrin de Piotr Bezcala

Car c’est un Lohengrin de premier plan que le Met a confié le rôle-titre. Sept ans après avoir l’avoir chanté à Dresde aux côtés d’Anna Netrebko, et repris ensuite à Bayreuth, Piotr Beczala s’affirme comme l’une des meilleures incarnations d’aujourd’hui du blond chevalier wagnérien. La luminosité de miel du timbre se glisse dans une émission légèrement resserrée, très reconnaissable d’ailleurs, qui lui donne un frémissement et une intensité que de plus placides interprètes n’expriment pas avec une telle sensibilité. Une telle voix fait toute la présence sur scène. Le conflit ukrainien a eu raison de sa complicité avec Anna Netrebko, initialement prévue pour ce nouveau Lohengrin, et désormais blacklistée, comme Valery Gergiev, en raison de sa complaisance avec Poutine. Tamara Wilson défend une Elsa investie, où la clarté de l’innocence n’oublie pas la tension des sentiments. En Ortrud, Christine Goerke ne ménage pas sa vindicte, avec des accents tranchants et vigoureux, qui soumettent un Telramund manipulé, confié à un Evgeny Nikitin que l’on a connu plus vaillant. Günther Groissböck campe un solide roi Heinrich, secondé par les interventions sonores du héraut confiées à Brian Mulligan. Préparés par Donald Palumbo, les choeurs robustes se montrent à la hauteur de leur réputation.

Dans la fosse, Yannick Nézet-Séguin met en valeur la puissance expressive d’une partition qui fut la première de Wagner à être jouée au Met, quelques semaines après son inauguration en 1883, et qui reste l’opus wagnérien qui y est le plus joué, avec plus de six cents représentations. Pour ce retour après dix-sept ans d’absence, le chef canadien n’hésite pas à faire entendre des échos et des couleurs inouïes, dans une lecture qui prend le temps de façonner la pâte orchestrale. Si le Met ne se prétend pas une scène d’avant-garde, il ne se confit pas dans la tradition poussiéreuse. La facture musicale de nouveau Lohengrin en témoigne – et la haute définition des salles obscures permettra de la goûter à quelques milliers de kilomètres.

Par Gilles Charlassier

Lohengrin, Metreopolitan Operan, New York, du 26 février au 1er avril 2023, sur écrans en direct le 18 mars à 17 heures. 

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