2 décembre 2011
L’oeil très sûr des Stein

Dans la famille Stein, on connaissait Gertrude grâce à ce magnifique portrait d’elle exécuté par Picasso dans sa période pré-cubiste. Elle et son frère, riches propriétaires californiens avaient délaissé San Francisco en assurant leurs florissantes affaires, pour s’installer dans le 6ème arrondissement de Paris , tout comme son autre frère Michael et sa femme, Sarah. Les premiers au 58 rue Madame, les seconds au 27 rue Fleurus. Tous les quatre ont le goût des tableaux et vont devenir non pas des collectionneurs mais des amis, des mécènes de ces peintres dont ils accompagneront le travail de création, donnant naissance à toute une émulation artistique.

Quatuor de mécènes

« Cette américaine avec ses frères et une partie de sa parenté forme le mécénat le plus imprévu de notre temps. Leurs pieds nus vont chaussés de sandales delphiques élevant vers le ciel des fronts scientifiques », écrira Apollinaire sur ce quatuor audacieux et atypique dont les appartements ressemblent à des musées, les toiles, faute de place, collées les unes aux autres. Les » big four » pour eux alors -nous sommes en 1905, Manet, Cezanne, Renoir et Degas. Puis, au salon d’Automne, ils plébisciteront les fauves avec Matisse ou Picasso dans sa période bleue et rose dont les magnifiques « Nu assis » ou « Meneur de cheval » sont exposés au début de l’exposition. Car, prenez votre souffle, ce sont des salles entières de Matisse, Picasso dans sa péride cubiste, ensuite, qui vous attendent avec chacun des couples son « protégé », Picasso pour Leo et Gertrude, Matisse pour Michael et Sarah. Le samedi soir, des réunions informelles sont organisées; elles réunissent expatriés et artistes comme Henri Pierre Roché, auteur du magnifique Jules et Jim ou Max Jacob qui joue du piano, Hemingway qui en vante la chaleur. Matisse peint « La joie de vivre » et à voir la petite fille qui danse ce jour-là au milieu des visiteurs devant ses toiles colorées et ses bronzes, celle-ci est bien communicative.

La fuite pour échapper au nazisme

Bientôt l’appartement est trop petit et c’est à Garches que Michael et Sarah s’installent, dans une villa dessinée par…Le Corbusier. Car chez les Stein, l’oeil est plus que sûr comme en témoignent les artistes que Gertrude, Picasso étant devenu trop cher, soutiendra : Picabia, Joan Gris, André Masson puis Balthus et  Atlan. Perspicace, ils quitteront l’Europe avant la peste brune en 1935, emmenant avec eux leurs trésors avant qu’il ne soit trop tard et qu’ils finissent comme tant de juifs spoliés et gazés. « Les vrais amis sont tellement rares qu’il est douloureux de les voir s’éloigner »leur écrira Matisse. De quoi s’emerveiller devant tant de toiles qui furent avant tout le résultat d’une belle histoire d’amitié…

Par Laetitia Monsacré

Sarah et Michael Stein vu par Matisse, leur ami.

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