5 mai 2020
L’indécence de l’économie


La France est encore confinée pour au moins une semaine – la date du 11 mai n’est pas une garantie, elle peut évoluer au gré de la situation sanitaire – que le déconfinement agite déjà les suppôts du capitalisme de tous bords, pressés de remettre à flots la machine productiviste pour, disent ils le bien- être des citoyens consommateurs, mais d’abord celui de leur portefeuille d’actions et de bénéfices. On passera sur les appels du Medef d’assouplir, dans une direction très néo libérale, le code du travail, où le libéralisme sauvage essaie de se dissimuler derrière le masque de la défense des libertés, pour rattraper une perte économique de toute manière irrécupérable. Nos thuriféraires du CAC 40 ne reculent devant aucun mensonge ou tromperie pour faire passer leurs intérêts propres pour ceux du bien public, en l’occurrence ici sanitaire. Hier, le PDG de la SNCF prenait la parole pour demander le port obligatoire du masque dans sa trains, et surtout ses TGV, non pas pour la louable intention de garantir un geste complémentaire de distanciation sociale nécessaire en ces temps de pandémie, mais pour une bien plus sordide raison économique, afin de pouvoir remplir jusqu’au dernier siège ses TGV, alertant sur le fait que ces Tgv ne sont pas subventionnés et que seul un remplissage moyen d’au moins 60% permet la viabilité économique du modèle – aujourd’hui le remplissage est limité à un siège sur deux, soit environ 50%, justement pour respecter les règles de distance sociale, qui avaient été superbement ignorées lors des migrations massives des parisiens au vert à l’annonce du confinement. La lamentation de Farandou se garde bien de rappeler que l’État actionnaire ne laissera pas tomber la SNCF, qui en ces temps difficiles recevra un soutien conséquent. Les mêmes larmes de crocodile à la rapacité aux longs crocs s’entendent aujourd’hui dans l’aérien. Ryanair menace de ne pouvoir reprendre son activité si les avions ne peuvent être remplis qu’un siège sur deux – en comptant l’allée centrale comme l’espace d’un siège, un monocouloir avec deux fois trois sièges de front peut ainsi être rempli à 66%, le siège du milieu étant neutralisé.

Test pour l’embarquement

Il va pourtant falloir s’habituer à ne plus partir à l’autre bout de l’Europe pour 20 euros en tongs et en marcel, ou encore traverser l’Atlantique pour 300 euros aller retour, la nouvelle équation économique imposant une probable augmentation moyenne de 50% des prix des vols – qui peut, avec les joies du yield management être plus sensible sur les petits prix et moins sur les prix plus intermédiaires. Le PDG d’aéroports de Paris souhaiterait quant à lui imposer des tests rapides coronavirus avant l’embarquement, pour rassurer les passagers et relancer le trafic aérien, ces tests étant bien entendu fourni par l’État et donc le contribuable et payés par une taxe supplémentaire qui s’ajouteraient aux nombreuses taxes qui grèvent le billet d’avion et gavent la société Aéroports de Paris – comme une oie pour la vendre ensuite à Vinci en cadeau. Passons sur la fiabilité encore fort aléatoire de ces tests, sachant que même avec l’amélioration de la réactivité des tests, la marge d’erreur sera toujours plus importante sur des tests rapides, qui seraient au demeurant réalisés dans des conditions peu propices à un dépistage de qualité et donc fiable, sans oublier la dimension passablement attentatoire à la vie privée. Passons également sur le flou du lieu et du moment où ces tests seraient faits. Car même s’ils sont réalisés avant l’enregistrement ou à l’entrée de l’aéroport, rien ne garantit que les passagers n’ont pas été contaminés juste avant, sachant par ailleurs la détection de la contamination n’est pas immédiate et que des primo infections asymptomatiques mais pas dénuées de charge virale contagieuse peuvent aisément passer sous le radar. En réalité, cette martingale sert surtout, encore une fois, à s’affranchir des gestes barrières et des distances sociales, qui, forcément, réduisent la densité commerciale de l’aéroport. Et fait ainsi reposer sur le seul passager la responsabilité et les dommages d’un tel triage. Le passager qui partirait pour des vacances pour lesquelles il a économisé, en temps et en argent, avec la bonne foi de se sentir en bonne santé, pourrait se voir refuser l’embarquement sur la base d’un test à la justesse incertaine. Bien sûr, ceux qui envisagent de telles mesures voyagent avec des billets flexibles payés au tarif fort par leur entreprise ou le contribuable ( parfois ça revient au même). Et je doute fort que la mansuétude légendaire des assurances, toujours promptes à trouver des clauses cachées et exotiques pour ne pas honorer leurs contrats, prennent en charge un tel risque, quand l’impossibilité médicale de voyager n’est généralement valable qu’avec un certificat de la morgue, validé par un médecin de l’assureur. La folie des tests, que certaines entreprises comme Veolia imposent désormais à leurs employés à leur arrivée au travail, même s’ils sont en bureau isolé, traçages et tous les accessoires, masques, gels et autres, nourrissent l’illusion que l’on peut poursuivre la bulle du fantasme du zéro risque dans laquelle nos sociétés contemporaines voulaient  nous endormir avant le réveil d’une épidémie avec laquelle il va falloir apprendre à vivre, au moins quelques temps. L’obnibulation autour du vaccin plutôt que des traitements est d’ailleurs symptomatique. Si une société peut mesurer son degré de civilisation au souci qu’elle prend des plus faibles, la compassion actuelle verse un peu dans l’hypocrisie quand elle néglige parfois les dommages sanitaires collatéraux d’un confinement qui sert aussi de terrain d’expérimentation idéal pour les tendances autoritaires des démocraties de notre époque.

Par Gilles Charlassier

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