30 septembre 2017
Liège ouvre sous le signe de Puccini

 

Sur la cartographie lyrique, l’Opéra de Liège se distingue de ses consœurs belges plus avant-gardistes, avec une esthétique scénique que d’aucuns jugeront plus traditionnelle, mais aussi une programmation originale qui remet à l’honneur des ouvrages oubliés du répertoire romantique. Il y a
quelques années, on avait redonné vie à Stradella, ouvrage de jeunesse de Franck, natif de la cité wallonne. Cette saison, la rareté sera Le Domino noir d’Auber, à la fin du mois de février. Mais le public pourra aussi redécouvrir La Favorite de Donizetti en novembre, opéra français du compositeur italien que l’on connaît mieux pour ses Lucia ou Don Pasquale. Et l’ouverture de la saison se fait avec un Puccini relativement discret dans les salles, Manon Lescaut, (les dernières représentations à Liège remontent à 1994), qui referme par là-même un cycle inspiré par l’héroïne de l’Abbé Prévost, après son incarnation chez Massenet et Auber.
La relecture du maître toscan fait l’économie de bien des péripéties, concentrant l’intrigue sur le drame amoureux. Les hésitations volages de la jeune héroïne, qui la rendent finalement émouvante, sont généralement gommées. Pas de retrouvailles à Saint-Sulpice, ni de tentations au tripot : la jeune femme est directement victime de la vengeance de Geronte, auquel elle a fini par préférer Des Grieux, et toute la seconde partie de la pièce décrit la déportation de Manon, que son amant a suivie, jusqu’en Amérique. Plus que la  lisibilité des épisodes, un peu malmenée par les ellipses nombreuses, c’est sur l’intensité des sentiments que s’attarde la partition, et le tableau des condamnées au troisième acte, qui préfigure schématiquement Le Dialogue des Carmélites, ainsi que la solitude finale, comptent parmi les scènes les plus prenantes.

Manon sans perruques

La lecture proposée par le directeur de l’institution liégeoise, Stefano Mazzonis di Pralafera, choisit l’illustration dans un décor plus contemporain de l’époque de la création, à la fin du dix-neuvième siècle, plutôt que les perruques poudrées originelles de l’Ancien Régime. Rehaussé par les lumières de Franco Marri, le carton-pâte dessiné par Jean-Guy Lecat prend l’allure de toiles de O’Keeffe dans le désert américain. Entre minimalisme et naïveté, le spectacle privilégie un compromis qui ne cherche pas à interférer inutilement avec la musique – ce dont peut-être la partition, un peu inégale, n’aurait pas pâti.
Vocalement, les oreilles ne sont pas délaissées. Dans le rôle-titre, Anna Pirozzi  apporte une solide maturité qui répond à la caractérisation du personnage par Puccini. D’un lyrisme puissant, parfois au-delà de la mesure, Marcello Giordani campe un Des Grieux émérite. Ionut Pascu résume un Lescaut finalement sympathique, qui contraste avec la suffisance du Geronte de Marcel Vanaud. Les rôles secondaires ne sont pas négligés. Marco Ciaponi restitue un Edmont allègre. Patrick Delcour se glisse avec égal investissement dans le tablier de l’aubergiste et l’uniforme du sergent. Alexise Yerna et Pietro  Picone divertissent en musicien et maître de ballet. Mentionnons encore le lampiste de Marcel Arpots, ainsi que le commandant dévolu à Alexei Gorbatchev, sans oublier les choeurs préparés efficacement par Pierre Iodice. Quant à la direction de Speranza Scapucci, qui vient d’être nommée directrice musicale de l’Orchestre de l’Opéra de Liège, elle assume sans retenue la générosité de la passion puccinienne.

Par Gilles Charlassier

Manon Lescaut, Opéra de Liège, septembre 2017

Articles similaires