14 décembre 2011
L’homme qui guérit

Il dit ne pas avoir beaucoup d’égo. Il ne ment pas. Jean-Hughes Anglade fut L’homme blessé de Patrice Chéreau, l’amoureux fou de 37,2 le matin de Jean-Jacques Beneix, le réalisateur descendu en flamme de Tonka. Et l’ombre portée d’Alain Corneau dans Nocturne Indien où les lumières d’Yves Angelo en firent un tableau humain en mouvance, porté par le sublime IIème mouvement de quintette en ut de Schubert. Aujourd’hui, il tourne un peu pour le cinéma- récemment Mineur 27  et une comédie à venir avec Gérard Lanvin, mais beaucoup pour la télévision- la série Braquo où il joue un flic crée par Olivier Marchal sur Canal Plus et Rani, d’après la BD écrite par Jean Van Hamme et réalisée pour France 2-diffusion du premier épisode ce soir- par Arnaud Selignac, le plus américain des réalisateurs français de séries. Il  y joue un  parfait salaud malheureusement écrit sans nuance pour cette série à gros budget qui,  à l’arrivée,  fait diablement penser à  Angélique Marquise des Anges.
La rencontre a lieu à la terrasse d’ un café, en bas de chez lui.

Vous auriez pu faire autre chose qu’acteur ?

Il hésite, puis se lance.

Dans l’absolu, j’ aurais adoré être musicien. Je joue à la guitare du blues. J’en ai plusieurs à la maison dont une petite Martin (prononcez Martine)-une guitare accoustique et merveilleuse, qui s’ouvre de plus en plus à force de la pratiquer. Si j’avais été encouragé par mes parents, s’ils m’avaient donné confiance, je pense que j’aurais osé  devenir musicien.

Il raconte cela en prenant le temps. Le voilà parti dans son amour pour le blues, les sonorités et la virtuosité « instinctive et intuitive » dans le jeu de certains. Il est devenu intarissable. Je tente un « c’est comme pour être acteur », mais, non, c’est de musique qu’il veut parler, de ces « petits blues qu’il compose », sur les tournages et de cette guitare qui fait que le temps y passe plus vite.

Avez vous l’impression  d’avoir une fêlure ?

Sûrement, mais pour l’instant, ni moi, ni mon psy n’avons pu la trouver. On ne sait tellement pas d’où ça vient ces choses là…

Son portable sonne, c’est son fils, Les mots sont plus que tendres. En l’espace d’une seconde, il n’est plus là, redevenu père, mère, nounou- tout cela en même temps.

Pardon, je ne sais plus où on en était. Ce n’est pas très grave, de toutes façons, on n’était pas très loin? Il rit. Et reprend- pile là où nous nous étions arrétés.

Est-ce que j’ai le sentiment d’avoir une fêlure? Je dirais oui, un peu comme tout le monde, mais j’ai surtout la chance de pouvoir la colmater grâce à ce métier. Jouer la comédie, c’était ce qui me semblait le moyen le plus rapide, même si j’ai mordu pas mal de fois la poussière.

Vous aimez vous regarder sur grand écran?

Je ne me fais pas d’illusion sur moi-même; je ne vois pas ce qui pourrait m’émerveiller dans ce que je suis à l’écran. Non, je ne vois pas ni raisons de me réjouir, ni de dramatiser. Mais, par rapport au travail fourni en amont, je me dis qu’il faut quand même que j’aille remercier ce mec d’avoir accepté d’apprendre le texte. Donc je vais le remercier un peu- cet autre, ce personnage. Sinon, ça m’indiffère. Pour moi, il y a une sorte de mystère divin dans le jeu; en fait, c’est ma quête de Dieu que je réalise d’une certaine manière, ce n’est pas autre chose. C’est ma manière de pratiquer la foi, si vous voulez…Ce n’est rien d’autre que rechercher cet espèce de plaisir extatique de certains moments de jeux, des moments de grâce.

La réalisation vous tenterait-elle à nouveau?

Non, c’est fatiguant. Et puis franchement, je n’ai pas assez d’ego pour ça. Tonka, je l’ai joué et dirigé, chose à ne pas faire quand on s’appelle Jean-Hugues Anglade, mais qu’on peut faire lorsque l’ on s’appelle Valeria Bruni-Tedeschi ou Zabou Breitman. Il faut une personnalité pour ça. Moi j’avais le talent, mais je n’avais pas rendez-vous avec ça. Ça m’a indiqué qu’il fallait à nouveau que je me concentre sur mon jeu.

Vous semblez très occupé par vos enfants…

Oui, je les élève tout seul. Je ne voulais pas de nounous, elle volent les enfants. C’est une manière de se décharger, de perdre de vue ses enfants et moi, ça, cela me fait très peur. J’adore faire la cuisine, m’occuper d’eux et soigner. Si j’ai un poisson rouge, il va vivre 4 ans avec moi! Et c’est vraiment 50/50 avec mon travail de comédien,  pas 49 /51,  ni d’un coté, ni de l’autre.

J’ai vu d’anciennes photos de vous, vous n’avez pas beaucoup changé physiquement!

Oui, j’ai mis énormément de temps à vieillir. A prendre un visage conséquent.

Le serveur passe dans son dos une enième fois. Je lui fait remarquer qu’il n’a toujours pas commandé. « Ah oui, un café allongé ». « Il débute celui là », rajoute-t’-il.

Le théâtre vous y reviendrez?

Pour l ‘instant non, peut être que cela ne correspond pas à ma personnalité; je n’ai pas de regret, pas de souffrance par rapport à ça. On me le demande alors,  parfois, je me dis oui pourquoi pas, pourquoi est ce que je n’irais pas… En fait, je suis très introverti; j’ai beaucoup de mal à aller sur une scène face au public. Je le fais beaucoup plus facilement-en principe-devant la caméra. Oui, c’est un peu contradictoire, un peu paradoxal, mais en fait, il y a chez moi un grand fond de timidité. Je ne suis pas franchement inhibé mais je suis assez timide. Et je suis convaincu, aujourd’hui, que le territoire du jeu est un endroit dans lequel je peux m’exprimer, et finalement, que ça m’est essentiel. Je n’ai pas, par exemple, de besoin de jouer la comédie dans ma vie de tous les jours ou de jouer, d’ être au quotidien très extraverti. Non, cela est réservé à mon  travail d’acteur. Mon seul souhait aujourd’hui, c’est d’ailleurs d’être un meilleur acteur. Avoir plus d’espace dans ce qui m’échappe encore dans le jeu; je pourrais apporter de l’ampleur. Vous savez plus on avance, plus il devient difficile d’être confondu dans le jeu. Moi, je souhaite échapper à  toutes les formes de postures et tutoyer un certain nombre de petites mises en danger.

Une heure est passée. Il avait promis à ses enfants de ne pas partir trop longtemps. Il faut nous revoir me dit-il, il y a des choses que je n’ai pas abordées…

De cela, je suis sûre. Mais, avec un  homme en marche dans sa vie comme lui, comment une  interview, exercice nécessairement figé peut-elle prendre fin?…Ainsi, il est des gens comme de certaines musiques; la mélodie trotte dans la tête sans que l’on puisse vraiment les chanter. Jean-Hugues Anglade est de celles-là. Touchant et insaisissable.

Par Laetitia Monsacré

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