29 septembre 2013
Les raisins de la colère

La croisière Costa ne s’amuse plus. Dans ces monstres des mers où l’on peut manger quasiment 24 heures sur 24 heures, avec des buffets à volonté pour gaver l’Européen privilégié, l’actualité a fait brutalement irruption ce week-end. Vous ne voulez pas intervenir en Syrie? Alors nous viendrons à vous. Par dizaines, par centaines, par milliers. Ce n’est que le début. Pensez-vous que nous ayons le choix? Certains de nous mourront en route, mais d’autres vous montreront ce qu’est la désespérance la plus absolue: des mères qui jettent leurs enfants sur le bateau des garde-côtes italiens qui a croisé notre route, d’autres -les plus faibles- qui se précipitent, une fois hissés sur votre obscène immeuble flottant, sur une bouteille d’eau, à moins que ce ne soient les miettes ou les plats entiers laissés par les vacanciers. Pauvres touristes quand on y songe, cette misère qui s’impose à eux dans ce qui devait être un moment privilégié ! Déjà les plages italiennes mêlant aux algues et aux coquillages des corps humains, tombés de ces nouveaux boat-people qui n’intéressent personne, ça gâchait un peu les vacances sur les côtes calabraises, non? « Père, nous te demandons pardon pour celui qui s’est accommodé et s’est enfermé dans son propre bien-être qui porte à l’anesthésie du cœur, nous te demandons pardon pour ceux qui par leurs décisions au niveau mondial ont créé des situations qui conduisent à ces drames. «  Les mots du Pape François venu se recueillir en juillet dernier à Lampedusa n’ont pas fini de résonner dans le vide, avec ce jeudi 3 octobre une fois encore des centaines de morts noyés.

Indifférence complice

Et que dire  lorsqu’un pétrolier battant pavillon libérien et transportant 102 migrants sauvés en mer en Sicile en août dernier (au cours des sept premiers mois de l’année, 12 000 migrants ont débarqué à Lampedusa, soit 175 % de plus qu’en 2011), avait  carrément payé son assistance à personne en danger,  d’être interdit par Malte d’accès à ses eaux territoriales, le gouvernement de La Valette estimant que, les naufragés ayant été recueillis près des côtes libyennes, ils devaient y être ramenés… Avec les conséquences pour ces « fuyards » que l’on imagine. « On ne voulait pas tuer les enfants ni les femmes mais vous avez tué nos enfants et nos femmes ». Voilà ce que les Shebab ont dit après l’attentat de Nairobi. Venus de Somali, pays exsangue, ils recrutent aujourd’hui des dizaines de « combattants » par semaine dans le petit Mogadiscio de Nairobi, Eastleigh qui accueille dans ses rues défoncées tous ces réfugiés qui fuient la guerre civile et la sécheresse qui sévit dans leur pays. Avec quel espoir? Sans doute aucun autre que, comme le touriste du Concordia, un téléspectateur à l’autre bout du monde entende parler de sa misère à la faveur d’un attentat frappant un îlot de richesses non loin de là. L’indifférence est une complicité; à ce titre, les complices que nous sommes vont devoir de plus en plus payer la facture, plus ou moins sanglante. Triste vengeance mais pour un désespéré dans la survie, la vie humaine n’a pas la même valeur, on le sait depuis la Rome Antique…

Par Laetitia Monsacré

 

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