21 février 2013
Les notes et les mots

La musique y aurait perdu quelque chose… « Ou l’architecture y aurait gagné! » s’exclame Frédéric Lodéon lorsqu’il  évoque le désir qu’il a eu dans ses jeunes années de devenir architecte. Sûr de lui, de cette certitude qui s’est imposée dès son plus jeune âge lorsqu’il a commencé « en famille » le piano puis le violoncelle. » Moi, je fais de la musique, je ne vais pas tellement écouter celle des autres » rajoute-t’ il après avoir remplacé la main levée -c’est le cas de le dire- pendant trois concerts le chef d’orchestre Myung Whun Chung. Le rencontrer c’est ainsi écouter la musique de sa voix qui coule comme un long fleuve tranquille telle la Seine au pied de la Maison de la radio. C’est d’ailleurs au bar Les ondes qu’il fréquente depuis 40 ans, que se déroule cette interview, autour d’une Suze, bien méritée après sa quotidienne Carrefour de Lodeon qu’il anime  sur France Inter depuis 20 ans. Un rendez-vous incontournable qu’il a sauvé à deux reprises, en 2006 grâce aux pétitions nombreuses des auditeurs et récemment avec l’arrivée de Philippe Val. Et qu’il assure tout en préparant la soirée des Victoires de la Musique Classique qu’il coanimera lundi 25 février avec Louis Laforge à 20 heures 45 sur France 3.

Violoncelliste virtuose, chef d’orchestre animateur référent en classique, la musique semble couler dans vos veines…

Mon père était directeur de l’école de musique de Saint Omer. Nous étions six enfants à tous jouer de la musique « en famille ». Ma vie c’est la musique avec le prix Rostropovitch en 1977, un premier prix de conservatoire à quinze ans. Ma mère ne voulait pas trop que j’en fasse mon métier, elle voulait que je sois prof de lettres-un métier sérieux! En plus j’étais bon dans l’écriture. D’ailleurs à la radio, j’ai les deux, la musique et le verbe. Les deux sont importants mais la musique a pris le dessus, alors que la première fois que j’ai gagné ma vie , c’était à douze ans en écrivant un article dans La Pêche et les poissons sur la pêche au gardon. J’adore ça, écrire. Après je suis monté à Paris, dans une chambre de bonne près de chez ma grand-mère martiniquaise. Elle me faisait de bons petits plats… La bohème mais au bon sens du terme!

Le serveur arrive enfin, le premier nous ayant oubliés -« un nouveau me dit-il, j’ai vu passer ici quatorze patrons différents et mon fils y a même assuré le service. Les gens qui ne me connaissent pas, c’est qu’ils viennent d’arriver! »

La carrière de soliste s’est alors imposée?

Oui, c’était évident. Comme ma mère m’avait dit » tu vas crever de faim dans une chambre de bonne », j’étais très motivé pour lui montrer le contraire. Quand le premier patron de maison de disques, Erato m’a dit « vous allez faire carrière », je lui ai répondu « évidemment »! Tout le monde me disait que j’étais le meilleur violoncelliste donc je ne doutais pas. J’ai alors fait des cachetons en accompagnant les « requins  » des studios ou encore Catherine Lara. Une fois, elle m’a préféré à un autre plus âgé et j’ai été viré avec cette idée que c’est dangereux de garder son job pour les mauvais mais aussi les trop bons. A la radio, j’ai commencé mes premiers enregistrements à 17 ans. Puis il y a eu les rencontres. Celle avec Yehudi Menuhin a été capitale; son violoncelliste était tombé malade-comme très souvent, ce type m’a rendu beaucoup de services!- et je l’ai remplacé en 1975 sur le Grand Echiquier de Jacques Chancel. J’étais alors le « jeune brillant chevelu ». Après j’ai commencé à travailler avec lui sur ses émissions en invitant des jeunes, des chanteurs de variété et là, ça a été fulgurant. Il n’y avait alors que deux chaînes!

De quoi vous reposer sur vos lauriers…

Pour quoi faire? On ne choisit pas un métier comme celui-là pour se reposer! On choisit ça parce qu’on adore ça. Après ça j’ai fait vingt ans de carrière, une dizaine de disques, voyagé partout avec des expérience, avec des chefs d’orchestre agréables ou non, des oeuvres différentes. C’est un métier de titan. Et de solitude aussi. Dans le mot soliste il y a seul, il ne faut jamais oublier cela.

D’avoir choisi une femme qui faisait le même métier que vous , c’était  plus simple?

L’amour ne se commande pas. On ne se dit pas on va prendre une femme parce qu’elle joue du piano! Il se trouve que l’on avait fait une tournée ensemble en Hollande, là encore parce que le musicien prévu avait au dernier moment fait faux bond. C’est là que je suis tombé amoureux de Daria. Après on nous a engagés ensemble de plus en plus. On formait un joli petit couple : »Daria et Frédéric Lodéon »

Lodéon, c’est votre vrai nom?

Oui, il vient du théâtre de l’Odéon. On imagine qu’une actrice en tournée à la Martinique y a laissé un enfant illégitime, en disant qu’elle reviendrait le chercher… Beaucoup de gens me disent que mon père pourrait être Alexandre Dumas-je lui ressemble et ma mère, Marie d’Orval; j’ai beaucoup de cousins qui ont ce prénom là, Dorval. Carrefour de Lodéon, c’est Pierre Bouteiller le patron à l’époque de France Inter qui a trouvé le nom.

A quel moment l’écriture est-elle revenue dans votre vie?

Je pensais bien que je ne mènerais pas cette vie de solitude tout le temps. J’ai eu mon fils Serge en 1973, les grands parents l’ont beaucoup gardé quand on partait en voyage. Je viens d’ailleurs d’être grand-père avec une petite Thaïs; il n’a pas voulu, lui, être dans la vie inhumaine qu’il nous a vus mener, sa mère et moi.

Il me parle alors de la nouvelle vie de son fils à l’ile de la Réunion ainsi que sa nouvelle compagne à lui, une « très belle infirmière » qui vit à Nantes avec laquelle il a eu une fille, qui voudrait partir faire un projet autour de l’écologie en Martinique -un « retour aux sources »…

Et la radio comment est -elle arrivée?

Après la télé; j’ai fait quinze Grand Echiquier de 1975 à 1989 avec Chancel qui est depuis devenu un ami. A l’époque, j’étais juste un pion important pour lui. Il avait l’habitude de ne jamais parler avant avec ses invités mais il m’a appris la souplesse, parler et reprendre mon violoncelle, jouer avec Brassens, Julien Clerc, Nougaro ce qui était très mal vu dans le milieu. J’avais une nature capable d’improviser sur n’importe quoi; j’ai même fait le Tour de France avec lui, en roulant à tombeau ouvert sur les routes… Il y avait une ambiance du tonnerre comme à Toulouse avec Nougaro. C’était une grande époque! On était beaucoup plus libres. De là, je suis passé sur la troisième chaîne grâce à Chancel avec ma propre émission puis je suis arrivé sur France Inter grâce à Pierre Bouteiller en 1992, d’abord avec la grille d’été puis chaque jour à 16 heures avec Carrefour de Lodéon.

L’émission a changé en vingt ans?

Pas vraiment, le concept c’est moi, c’est très simple! J’ai des enregistrements, des choses à raconter, tout le reste c’est des conneries! Non il faut une personnalité, quelqu’un qui raconte la musique. On est partis avec 200 000 auditeurs et on est arrivés à 650 000 aujourd’hui-une audience unique au monde. J’ai une assistante et la même réalisatrice depuis vingt ans!

Vous préparez comment?

Selon ce qui se passe, j’aime être en lien avec l’actualité comme lorsque les météorites sont tombées en Russie et où j’ai passé Tchaïkovski. Je veux avant tout que cela soit varié. Tout ce qui est trop sérieux m’ ennuie. « Méfiez vous des gens qui ne rient jamais, ce ne sont pas des gens sérieux » disait Robert Schuman. La musique, c’est avant tout une joie, un partage, une convivialité. Et même si l ‘on dit que « les chants les plus beaux sont les plus malheureux « , mon tempérament, c’est plutôt la joie de vivre; j’aime bien que ça barde, que ça sonne, qu’on entende de loin. Le générique de Carrefour de Lodéon qui est l’ ouverture de Guillaume Tell de Rossini est d’ailleurs fait pour appeler de loin les gens. Par ailleurs, je n’écris que le conducteur et pour le reste j’improvise! Avec un mot dans la marge si je pense qu’il est important. La radio, c’est parler comme dans la vie sinon, c’est comme un cours de la Sorbonne!

Vous êtes stressé pour lundi soir?

Oui, car il faut être physiquement présent à l’ antenne avec plus d’un million de téléspectateurs. C’est beaucoup plus fatigant et éprouvant que la radio, avec la chaleur des projecteurs sans oublier vos amis et vos ennemis qui sont présents ce jour là… Certains me reprochent de parler beaucoup mais j’ai le tempo dans le corps; il y a une différence entre parler trop et parler facilement… Il faut avant tout « ouvrir » les portes et ne pas casser les pieds.

La facilité, voilà un mot qui sied bien à celui qui met Bach tout en haut « la base, le père » avec sa voix chaude, ô combien radiophonique. La même qui fait de lui un chef d’orchestre tout autant à son aise derrière un pupitre, à lire des notes de musique ou des mots. Haut la main!

Par Laetitia Monsacré

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