16 novembre 2012
Pascal Amoyel, les mots et les notes

Virtuose. Un jour, le verdict est tombé. Tard. Pascal Amoyel avait passé son bac pour la sécurité, mais le piano s’imposa comme une évidence, avec la vie qui lui offre, à la faveur d’une concierge, la rencontre qui va changer le cours de la sienne. Georges Cziffra est son voisin d’immeuble; ce grand pianiste auquel il a donné chair dans Le pianiste aux 50 doigts, pièce de théâtre qu’il a créé de toutes pièces pour enfin rencontrer le public comme il l’entendait. Depuis 1992, l’année de ses 21 ans et un triplé extraordinaire, en étant à la fois Lauréat de la Fondation Cziffra, puis de la Fondation Menuhin et enfin Premier Prix de piano du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, il construit sa carrière et sa vie,  avec sa femme Emmanuelle Bertrand, violoncelliste, chacun ayant eu une Victoire de la musique classique. Et comme la carrière de soliste ne lui suffisait pas,  il a créé le Festival Notes d’Automne, qui associe depuis quatre ans musique et littérature pour ce féru de philosophie, dans la ville où il réside, Le Perreux sur Marne. Francis Huster, Irène Jacob, Anne Roumanoff, Michel Portal, Eric-Emmanuel Schmitt et de nombreux autres artistes ont fait confiance à cet homme adepte de la transversalité. Le Carnaval des Animaux, La truite, les voyages de Pierre Loti, voilà le programme difficile à mettre en place avec les « égo des comédiens à gérer », ou ceux qui se décommandent au dernier moment. Pas son style, lui qui manque tant de temps à quelques jours du début de son festival, avalant un club sandwich en répondant à mes questions dans les salons du Lutétia.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce festival?

Faire des choses que je n’ai pas l’habitude moi même de faire dans ma carrière. Par exemple, j’ai enregistré l’intégrale des Harmoniques poétiques et religieuses de Liszt que j’ai jouées à Gaveau; je ne voulais pas simplement jouer mais qu’il y ait une lumière qui se déplace lentement pendant tout le cycle, et on m’a répondu: on ne sait pas faire. Cela, car personne ne leur avait demandé et par peur, sans doute, aussi. Le principe du festival, c’est une carte blanche qui permet surtout de dépasser les traditions de ritualisation de la musique classique qui rebute beaucoup de gens. C’est Liszt qui a créé celui-ci dans les années 1830 et près de deux siècles plus tard, ça n’a pas changé! On est là avec un concert en deux parties, habillé en smoking noir, le piano de profil. Il y a toutefois du bon dans cela; la pureté de la musique n’a pas besoin de mise en scène exubérante. Mais pour un public qui ne vient jamais voir de concerts, je voulais des associations qui leur ouvrent les portes. En plus, c’est une seule fois, un « one shot », avec cette année, neuf créations.

Comment le festival se déroule-t’il?

Il y a des concerts très différents; avec Francis Huster, c’est une pièce avec deux comédiens et la musique est là pour accompagner. Plus original, Block 15 raconte la vie de deux musiciens déportés à Auschwitz, dans une mise en scène de Jean Piat et que nous avons joué avec Emmanuelle, ma femme, une centaine de fois.

Vous êtes également compositeur, c’est important pour vous d’écrire votre propre musique?

Ça n’est pas un choix. De temps en temps, il y a des musiques qui me viennent, je me sens « appelé ». « Devenir poète car vous pensez ne pas pouvoir ne pas l’être » comme l’écrivait Rilke. Je n’imagine pas, pour autant, un concert juste autour de mes propres pièces comme cet oratorio auquel Laurent Terzieff devait être associé. Malheureusement, il est mort juste à ce moment là. C’était un homme incroyable.

Vous vous nourrissez des rencontres?

J’aime bien ce qui rapproche. Que l’on écrive, que l’on fasse de la musique, comédien ou peintre, on est tous la même chose; lorsque quelqu’un parle de son travail, l’autre se reconnait en lui, s’il est authentique. Cette chose commune, c’est la célébration du mystère de la vie d’une façon très générale. L’artiste est simplement le canal qui permet ça. La preuve, c’est que lorsque je compose, je ne me dis pas « je vais faire comme cela », ça vient tout seul. Je dis souvent que je suis religieux mais pas croyant, personne ne peut dire » j’ai fait ça ». En revanche, il y a beaucoup de choses qui peuvent entraver ça; tous les artistes le savent.

Vous souvenez-vous  du moment où vous êtes devenu ce « canal »?

Ma mère chante de l’opéra, mon père jouait un peu de piano. J’aimais l’imiter. Un jour, je lui ai dit de se pousser un peu…L’objet m’attirait mais la professeur de piano dans la campagne où nous habitions avait dit qu’il fallait attendre, que j’avais les doigts trop petits! J’ai un regret par rapport à cela, de ne pas avoir commencé plus tôt et avoir perdu beaucoup de temps avec mon bac et des profs qui n’en avaient rien à faire que je fasse de la musique à côté. Cziffra, je l’ai rencontré à douze ans. Ce jour là, j’ai réalisé que la musique était connectée à l’humain. On a oublié tout cela, que Beethoven lisait des livres bouddhistes à la fin de sa vie. Ecouter la Sonate opus 111 en sachant cela, l’oeuvre n’est plus la même. En fait, c’est revenir à la source même de l’enthousiasme du compositeur.

C’est important pour vous d’expliquer l’art? La musique n’est-elle pas une vibration que l’on doit avant tout ressentir de façon essentielle?

Tout à fait, on entre dans le côté analytique comme dans un musée lorsque l’on a un audioguide et que l’on ne regarde plus rien…Par exemple la Truite de Schubert, le texte est sur le ressenti de l’oeuvre; c’est très émouvant de voir un auteur appréhender une oeuvre musicale avec des mots. Les Quatre saisons de Vivaldi avec Irène Jacob est parti de l’inverse, mettre les mots en musique avec en plus, un illustrateur sur scène.

Vous vous nourrissez beaucoup votre femme et vous, musicalement ?

Enormément. Nous avons joué à Bilbao il y a deux jours et nous avons passé notre séjour à parler de nos idées pour nos festivals respectifs-elle est en charge de celui de Beauvais. En fait, nous partageons tout, ce qui est donné à peu de gens. Maintenant ça peut aussi créer des tensions, le fait d’avoir plusieurs vies en même temps, et donc que l’autre n’ait pas forcément la même vie au même moment. Mais, nous avons cette chance de réussir tous les deux et de ne pas jouer le même instrument; deux au piano, cela aurait peut-être été plus compliqué!

Quel regard portez-vous sur votre carrière?

Je suis dans un doute permanent. J’ai eu énormément de moments de galère surtout que la musique classique a ses codes très particuliers avec les mêmes gens qui tournent. Il y a des artistes extraordinaires qui ne sortent pas de chez eux et d’autres qui grâce aux médias, tournent partout. J’ai la faiblesse de croire que j’ai une ligne directrice: ne pas faire de concessions. Quand j’ai sorti mes Nocturnes de Chopin, mon disque d’après n’a pas été les Polonaises…mais Scriabine. Tout le monde a été dérouté par cela. J’ai enregistré Alkan, un compositeur inconnu. Je préfère aller lentement quitte à refuser des enregistrements mais pouvoir me regarder dans une glace.

Vous jouez tous les jours?

Non,  je n’ai pas des concerts tous les jours. Ah, vous voulez dire travailler à mon piano! Oui, je dis « travailler »; c’est tout le temps. Pour être libre, « être capable de lâcher », il faut avoir énormément travaillé. C’est pour moi la différence entre les grands artistes et les autres, cette capacité au lâcher prise en opposition à la simple extériorisation…. C’est ce vide là qui émeut dans l’interprétation.

Il n’avait que peu de temps mais il l’a oublié, parlant de cette grâce lorsqu’elle arrive, apportant cette liberté qui au sens philosophique n’existe pas. « Je travaille sur ce qui reste ». La phrase est belle comme des notes de musique lorsqu’elles sont bien ordonnées. En connaitre le sens n’est alors pas très important , seule la musique compte…

Par Laetitia Monsacré

Programme du festival Notes d’automne, jusqu’au dimanche 18 novembre

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