3 février 2013
Les mots avec le coeur

Marie Lebey n’est pas une écrivain très connue. Elle est trop généreuse pour cela. Pas assez autocentrée pour avoir consacré sa vie à elle-même. Elle ne devait pas avoir d’enfants, elle en a eu trois comme pour défier les lois naturelles… Pour eux et son mari, « l’ange vert devenu bleu »- un célèbre joueur de football aux cheveux bruns, frisés -elle s’est arrêtée d’écrire pendant vingt ans, après un succès immédiat avec son premier livre, Dix sept ans, porte 57. Puis dès son retour en 2011 avec Oublier Modiano, on a retrouvé ce style, cette plume qu’elle livre à nouveau dans Mouche’, un livre hommage à sa mère, après que la mort de son père puis celle de sa soeur à deux ans d’intervalle, « tous deux brûlés vifs », ont « nettoyé au napalm tous les liens familiaux » écrit-elle. Sa mère, c’est cette femme qui s’est toujours « heurtée aux membres de sa famille comme aux meubles d’une pièce trop petite ». Et face à laquelle elle « se transformait en chat de gouttière suspendu au rebord d’une baignoire remplie d’huile bouillante ». Ce livre court qu’on lit comme on regarde un film, elle le connaît par coeur- un mot qu’elle met en toute chose, sans tricher, comme dans cet entretien dans un café rive gauche, où l’on sent qu’avec elle, le temps ne sera pas compté.

Est-il difficile d’écrire sur sa mère?

Oui c’est difficile; enfin , c’est un sujet casse-gueule. Je ne voulais pas régler des comptes ni tomber dans le pathos mais, extraire le meilleur d’elle. Retrouver ce que j’avais aimé d’elle quand j’étais enfant et qui avait disparu. Pour cela, il fallait que je la voie comme un personnage. Après la mort de ma soeur, je me suis sentie abandonnée, elle avait tellement mal… Si cela se trouve, elle avait toujours été comme cela, névrosée sauf qu’on ne s’en était pas rendu compte lorsqu’il y avait mon père, ma soeur… J’ai pu grâce à ce livre mieux la comprendre. Beaucoup de gens critiquent en disant « Encore un livre sur la mère,  sur le je », mais quand on voit une toile de Van Gogh, tous ses traits sont du « je », y compris quand il fait une paire de chaussures! Je voulais surtout à travers la mère, que l’on voie une femme.

C’est de toutes les façons le sujet de tout écrivain…

Oui, je me suis toujours demandé pourquoi cette femme qui avait tant de talent, qui mettait du beau dans toutes choses n’a pas eu le talent, n’a pas passé le cap pour devenir quelqu’un. Aujourd’hui, je crois avoir compris; la création est quelque chose  de physique, il ne faut pas avoir peur de se faire mal. Ecrire, c’est être enfermé, on est tout le temps sur les nerfs. Les danseurs, les sportifs se font mal dans le corps et c’est pareil dans l’écriture. Sans doute ma mère ne voulait-elle pas souffrir, comme les enfants gâtés. Qu’est-ce qui fait qu’on passe à l’acte? C’est de vouloir vraiment vivre les choses et ne plus seulement les effleurer.

Comment vous souvenez-vous de toutes ces choses que vous décrivez dans votre livre?

Je l’ai forcée un peu à écrire; qu’elle raconte comment c’était, ses souvenirs. Si elle a lu le livre? Oui, elle l’a beaucoup aimé mais au lieu de réagir sur les passages où je raconte que sa main était glacée ou qu’elle m’a peu embrassée, elle a réagi sur des détails accessoires. Mais elle a eu la générosité de coeur de me dire qu’elle l’avait trouvé beau. Mais, elle me l’a dit vite fait!

Votre travail d’écriture s’est fait comment?

J’ai eu du mal car pour rendre son personnage fort, il ne fallait pas tricher. Je voulais que cela soit poétique, que le livre parte dans tous les sens, comme elle… Que cela soit décousu, fantasque,  comme elle. Elle est exactement comme dans le livre, ce n’est pas une caricature. Elle chantait vraiment dans la rue!

D’où vous viennent ce sens de la formule, cet humour…

Mais de ma mère, elle m’a appris à regarder, à voir! Elle est belge, avec cet humour à la Poelvoorde. J’ai appris à voir les choses comme cela. Comme elle n’a pas fait d’études, tout comme moi, elle m’a appris à me créer une propre référence, par rapport à ce que l’on connaît. En tant qu’écrivain, je lui dois tout. J’ai arrêté mes études en classe de  3 ème après avoir été repérée dans la rue pour jouer dans un film d’Yves Boisset. J’ai dealé avec ma mère pour pouvoir prendre des cours de comédie. Mais c’était vraiment un métier que je n’aimais pas. Il faut être très bête ou très intelligente pour tenir. J’ai trouvé cela aussi très impudique. Et puis je n’avais pas de talent, je n’arrivais pas à faire semblant de pleurer pour des conneries; en plus dépendre des autres, ça ne me plaisait pas du tout… Non, l’écriture s’est imposée; je n’avais plus envie de parler, je voulais raconter la vie en différé. Je me sentais protégée en écrivant.

L’écriture arrivait plutôt dans des périodes heureuses ou malheureuses?

Malheureuses, et puis après il faut réécrire dans le bonheur; c’est comme pour les sportifs, il faut que le soir de la coupe d’Europe ils soient totalement tendus et en même temps relâchés. L’écriture, c’est pareil, il faut donner quelque chose qui vous échappe.

C’est ce que vous avez senti avec ce livre?

Non, mais j’ai travaillé pour m’en approcher. C’est de l’entraînement pour se mettre dans cet état là. Quand j’ai eu mes enfants, à trente ans, j’ai arrêté d’écrire, pendant vingt ans-plus une ligne. Le déclic a été de relire Modiano; j’ai alors photographié tous les lieux de son oeuvre,  qui est très précise dans les adresses- je partais tous les week-ends. De là est né Oublier Modiano.

Vous décrivez comment elle pouvait appuyer sur les boutons qui vous rendent dingue… C’est donc sans espoir?

Avant d’écrire le livre, je ne supportais rien de ce qui venait de ma mère; tout me rendait hystérique chez elle; mais de la voir comme un personnage, ça m’est passé. Et puis j’ai une mère intelligente, je ne suis pas seule là-dedans. Ma mère se rendait bien compte qu’elle n’avait rien à partager avec moi- ce qui n’était pas vrai. Je suis très pessimiste mais je crois qu’il y a un moyen de se retrouver, vraiment. Ma mère a toujours été absente quand je l’attendais et présente quand je l’attendais pas. On peut se retrouver quand on n’attend plus rien de l’autre.

Le magnéto continue de tourner, mais c’est désormais elle qui pose les questions. La mère est un sujet universel, surtout pour qui a une qualité d’écoute aussi développée que celle de l’écriture. Et qui porte si bien son prénom…

par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

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