13 mars 2023
Les mamelles de Tirésias, du Py déjanté au Théâtre des Champs Elysées

Quand les vieilles fourrures du Théâtre des Champs Elysées voient le nom d’Olivier Py, elles se disent qu’elles en auront pour leur argent de torses mâles et autres tropismes gays; avec les
Mamelles de Tirésias, elles avaientt la garantie d’être servies. « Moine et voyou », selon les mots de
Claude Rostand, grand musicographe qui a laissé son nom à un prix décerné par le Syndicat de la
critique, Poulenc a plus d’un point commun avec le nouveau directeur du Châtelet. Ce dernier avait
mis en scène il y a dix ans, des Dialogues des carmélites intenses et épurés, qui avaient fait date.
Pendant la pandémie, il est revenu avec la Voix humaine, couplé avec une suite, Point d’orgue de
Thierry Escaich, sur un livret de sa main qui mêlait stupre et mysticisme dans une faconde
reconnaissable du metteur en scène.
Dans ces Mamelles, sur une pièce d’Apollinaire qui bouscule les genres et les convenances, Thérèse
veut devenir un homme pour en avoir tous les avantages, faire carrière, et laisser la procréation et le
pouponnage à son mari. Autant dire que sur cet argument loufoque aux résonances fort
contemporaines, Olivier Py a été inspiré. Le décor du cabaret Zanzibar, d’un rouge écarlate, dessiné
par son complice de toujours Pierre-André Weitz, sous les lumières du non moins fidèle Bertrand
Killy, accueille une faune qui malmène la biologie et la pudibonderie, dans un esprit de revue qui
colle parfaitement à une partition éclectique pastichant brillamment tous les répertoires.

Irrésistible Sabine Devieihle

Dans le rôle de Thérèse devenue Tirésias, Sabine Devieilhe offre un visage bien plus fripon que
celui des héroïnes aussi diaphanes que ses aigus, les Lakmé et autres Ophélie, où on la
régulièrement applaudit. Dans cette composition théâtrale qui n’a pas peur d’une certaine gouaille,
elle surprend par une présence dans les pas d’une Patricia Petibon, révélant une autre face de sa faculté à entrer dans ses rôles, très applaudie par le public, et qu’elle n’hésitera pas, sans nul doute, à remettre en avant bientôt. Jean-Sébastien Bou lui donne la réplique avec gourmandise en mari « déconstruit » qui se fait aborder par un gendarme en cuir, campé par Victor Sicard, tandis que Laurent Naouri est impayable en
directeur de théâtre imbu de sérieux pour débiter un programme nataliste bien dans l’air du régime
de Vichy – Poulenc a composé l’opéra à la fin de l’Occupation – qui reprend littéralement la
réécriture d’Apollinaire au début de la première guerre mondiale – d’un conflit mondial à l’autre, les
préoccupations politiques demeurent les mêmes.
La scénographie flirte bien par-ci par-là avec le cru, sinon le vulgaire, comme cette vulve en néon
dans le cadre du grand escalier, qui fait ensuite place à un phallus fontaine abondant de semence
pour une procréation sans femme. Mais impossible de résister à ce tourbillon entre fable et music-
hall qui emmène avec enthousiasme François-Xavier Roth avec son orchestre Les Siècles, en résidence cette saison au Théâtre des Champs Elysées, secondés par les choeurs d’Aedes préparés par Mathieu Romano.
On les avait déjà retrouvés dans Le Rossignol en première partie de soirée, dans un remarquable
cisèlement des couleurs et des rythmes du conte musical que Stravinski a tiré d’Andersen, et qui, à
l’évidence, a beaucoup moins inspiré Olivier Py. L’idée d’en faire un prologue dans les coulisses du cabaret
Zanzibar, avec son contraste entre le noir de l’arrière-scène et le rouge du devant, ici inversés, que
l’on devine et qui se retournera après l’entracte, a beau être habile, le traitement assez paresseux par
petites touches et petits exhibitionnismes distraient complètement de la poésie singulière de cette fable
orientaliste traitée comme un simple prétexte. On se consolera avec le Rossignol aérien de Sabine
Devieihle, la cuisinière de Chantal Santon Jeffery ou encore la ballade du pêcheur avec laquelle
Cyril Dubois ouvre et referme le récit, parmi un plateau exactement identique entre les deux œuvres
– et tout aussi convaincant. La morale est qu’avec ces Mamelles, mieux vaut ne pas partir pendant
l’entracte !

Par Gilles Charlassier

Le Rossignol, Les mamelles de Tirésias, Théâtre des Champs Elysées, du 10 au 19 mars 2023.

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