24 mars 2012
Les Huguenots, bien vivants


Après avoir été donnés en mai dernier à Bruxelles, Les Huguenots de Meyerbeer commandés à Olivier Py font salle comble à Strasbourg. Longtemps boudé par les maisons français, le grand opéra à la française connaît ces dernières années une réhabilitation à laquelle l’Opéra du Rhin contribue efficacement – avec entre autres une Africaine, de Meyerbeer également, présenté il y a quelques années. Il faut dire qu’avec sa position géographique stratégique, Strasbourg est un hôte tout désigné pour le compositeur cosmopolite que fut Meyerbeer, né en Allemagne, ayant étudié en Italie et fait sa carrière en France. Après avoir connu un immense succès de son vivant, il est tombé dans l’oubli avec l’avènement du wagnérisme à la fin du dix-neuvième siècle – et pourtant, Wagner le tenait en haute estime au début de sa carrière, en particulier Les Huguenots. Triomphe auprès du public, l’opéra fit polémique en raison du sujet de l’ouvrage : le massacre de la Saint-Barthélemy, en 1572, à travers les péripéties amoureuses de Valentine, fille du comte de Saint-Bris, catholique et Raoul de Nangis, protestant, en rivalité avec son ami le Comte de Nevers, catholique. Autant dire que son actualité est brûlante aujourd’hui.

Façades Renaissance et orgie


Et cela n’a pas échappé au metteur en scène, Olivier Py, même si l’attrait exercé par cette grande fresque est loin de s’y limiter. Avec des façades Renaissance dorées mobiles, Pierre-André Weitz, son décorateur attitré, suggère aussi efficacement les rues de la capitale que les façades des résidences seigneuriales. La scène d’orgie de la jeunesse noble du premier acte ne demeure pas circonscrit à son registre gastronomique : les trois figurants en kangourou blanc, parodiant les trois Grâces de Botticelli ou les trois Parques, s’adonnent à de joyeuses simulations coïtales-chères à Olivier Py comme on a pu le voir dans « Die Sonne » au théâtre de l’Odéon dont il est pour quelques semaines encore le directeur.  Mais l’anecdote ne saurait masquer ce qui fait le talent  de cette mise en scène, sa confiance en l’expressivité des chanteurs. Jamais le jeu d’acteurs, sobre, ne vient contredire les dispositions physiologiques exigées par le chant – c’est une qualité hélas devenue rare aujourd’hui. Rythmée par les déplacements des panneaux ambrés, et dynamisée par quelques coupures, afin de mieux la condenser, l’action captive sans difficulté.

Une orchestration innovante
Dirigée avec une remarquable efficacité par Daniele Callegari, la musique ne recule pas devant les effets – avec des chœurs impressionnants de puissance. Mais la partition réserve aussi des moments inouïs, qui témoigne de l’audacieuse inventivité du compositeur – ainsi de la romance de Raoul, « Plus blanche que la blanche hermine », accompagnée par la viole d’amour, ou encore l’extraordinaire solo de clarinette basse joué du balcon d’une des façades, dans le trio de l’interrogatoire au cinquième acte (Meyerbeer est le premier à avoir introduit cet instrument dans un orchestre d’opéra).
Un plateau vocal de premier ordre
La distribution d’un ouvrage comme Les Huguenots tient presque de la gageure, et le défi a été relevé avec succès par l’Opéra du Rhin. Raoul de Nangis d’un héroïsme éclatant, Gregory Kunde contraste avec la rondeur du baryton Marc Barrard, parfait dans l’orgueil blessé du comte de Nevers. Basse caverneuse et solidement arrimée, Wojtek Smilek incarne Marcel, le domestique de Raoul. Mireille Delunsch démontre un engagement dramatique prenant dans le rôle de Valentine – et fait oublier des imprécisions passagères dans l’aigu. Après Lulu à Bastille l’automne dernier, on retrouve Laura Aikin en Marguerite de Valois, toujours aussi percutante, mais moins à l’aise avec la langue de Molière, laquelle n’a aucun secret pour Karine Deshayes, Urbain tout à fait dans le style, quoiqu’un peu sage.
Peut-être moins bouleversants que La Juive d’Halévy, contemporaine – une autre histoire d’intolérance religieuse où les catholiques tiennent encore le sale rôle – Les Huguenots méritent d’être redécouverts. Si vous avez manqué les représentations strasbourgeoises, il vous reste celles du Théâtre de la Filature, les 13 et 15 avril prochains. Cela vaut bien les deux heures quarante de train pour rejoindre Mulhouse de la gare de Lyon.

 

Par Gilles Charlassier

A Strasbourg, du 14 au 28 mars 2012, puis à Mulhouse, les 13 et 15 avril 2012

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