5 février 2013
Les derniers jours d’Edward Hopper


Selon Emmanuel Pernoud, historien de l’art, l’attente est un des sujets principaux de la peinture de Hopper. Ainsi, nombreux parmi ceux qui voulaient la voir représentée dans son œuvre, lors de sa rétrospective très médiatisée au Grand Palais, ont dû d’abord l’endurer…

Si vous avez suivi l’affaire, il ne vous aura pas échappé que l’exposition a été prolongée d’une semaine, avec des horaires élargis et même, pour les trois derniers jours, la possibilité d’y accéder de jour comme de nuit, sans interruption. En fait d’accès, il y a avait surtout moyen d’atteindre une file d’attente interminable au bout de laquelle la joie présumée que nous procure l’art était loin d’être assurée. La plupart des médias se sont plus à appeler cela un « marathon » pour le Grand Palais et on ne doute pas de la difficulté d’exaucer un telle promesse pour le petit personnel : 62 heures, non stop ! Mais c’est surtout chez les spectateurs que l’annonce de la prolongation donna le coup d’envoi d’une course absurde. Pour en sortir vainqueur, il fallait soit être rapide et se procurer des billets au plus tôt, soit être patient et endurer le froid durant trois, quatre ou cinq heures aux portes du musée. Il y avait toutefois un moyen d’échapper à cette alternative… En payant plus cher ! La priorité, privilège de l’argent !

 Chronique d’un week-end sans sommeil

 -Vendredi 1er février, 9 heures,  coup d’envoi de ce fameux « marathon »; même jour, 17 heures, une chaîne d’information continue montre des images de la galerie, bondée. Le présentateur annonce que le meilleur moment pour venir se situe entre trois et quatre heures du matin. Il est inévitablement devant la toile la plus célèbre « Nighthawks » qu’il désigne comme la « star » de l’exposition. Sur les écrans, on aperçoit l’œuvre, derrière quelques crânes. Le public ne viendrait-il voir que ce qu’il connaît déjà ?

– Samedi 1 heure du matin, la file d’attente dépasse les portes du square Jean-Perrin par où se fait l’entrée de l’exposition. Les agents se fatiguent et la tension monte sur l’avenue du Général Eisenhower. Il y a environ quatre à cinq heures d’attente à partir de l’ouvreur, mais avant, on compte environ trois quarts d’heure de queue sur le trottoir. Une queue qui ne cesse de s’amplifier, même à cette heure tardive, même par ce vent glacial.

– Même jour, 19 heures, étonnement, la file d’attente est moins longue que durant la nuit précédente, mais il y a toujours au moins trois heures d’attente réglementaire… Dans le musée, c’est affreux, les gens s’entassent pour lire les indications – par ailleurs assez sibyllines et répétitives – ou pour voir de minuscules gravures – par ailleurs sublimes !

– Dimanche, 23 heures, clôture de l’exposition, on fait le bilan. 780 000 spectateurs sont venus sur une période de quatre mois, dont 14 000 en seulement 62 heures. Partout, on applaudit un tel succès.

Mais, faut-il vraiment se réjouir de cette affluence ? Une telle attente était-elle justifiée ? Les organisateurs de cette rétrospective vantaient le nombre d’œuvres réunies pour l’occasion. On entendait partout qu’il s’agissait d’une manifestation exceptionnelle, ce qui explique sans doute le record d’affluence – quoique comparable aux précédentes rétrospectives consacrées à Monet et à Picasso. Et, au sujet du « marathon » des derniers jours, Jean-Paul Cluzel, le président de la Réunion des Musées Nationaux – Grand Palais, affirme qu’il s’agissait « de favoriser un accès à la culture ».  L’accès certes mais à quel prix…

Par Romain Breton

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