13 novembre 2011
Halte au cumul de médias

Ils sont partout. Apathie et Calvi, Duhamel et Zemmour, Barbier et Fourest, Giesbert et Joffrin, Beytout, Macé-Scaron, Domenach, Toussaint, voilà les héros de la caste télécratique. Un groupe d’accros aux écrans, symboles d’une certaine consanguinité des élites. Que dire en effet de ce microcosme, celui des patrons de presse, qui tels des princes des médias, omniprésents dans les magazines, sur les ondes et les plateaux télé, dissertent à foison, façonnent le bien-penser, trustent les émissions et les commentaires et jouent avec tous les pouvoirs politiques au point de leur ressembler. Ils ne font pas partie d’un réseau établi, ni d’une amicale d’anciens. Mais leurs noms sont sur toutes les antennes. On les appelle les « médiacrates ».
Ainsi les vétérans, incontournables comme Alain Duhamel, âgé de plus de 70 ans, qui a démarré dans le commentaire politique en… 1963 au Monde, avant d’enchaîner presque cinquante ans de télés et de radios. Qu’il pleuve ou qu’il vente, il continue de distribuer bons et mauvais points modérés dans ses billets matinaux de RTL, de rédiger ses chroniques au Point et à Libération, d’apparaître sur les plateaux de France 2 ou de Canal Plus et de publier des livres. Alain Duhamel a surtout réussi l’exploit d’être successivement courtisan de la plupart des leaders politiques : Giscard, Barre, Mitterrand, Balladur, Chirac, Jospin, Bayrou et quelques autres. Son frère Patrice Duhamel lui a d’ailleurs lancé un jour : « Tu es à l’éditorial politique ce que Michel Drucker est au divertissement ! » Pas sûr que soit 100% un compliment…
L’homme fait partie, avec d’autres VIP des médias, de ces caméléons, changeant de couleur selon leur interlocuteur, plutôt enclins à encenser les pouvoirs en place, pourvu qu’on leur en préserve l’accès. Aux côtés d’Alain Duhamel, Jean-Pierre Elkabbach, indéboulonnable star d’Europe 1, en fait partie. Né à Oran en 1937, il a travaillé à l’ORTF et fut placardisé en 1968 pour avoir fait grève ! Revenu présenter les journaux de la Première chaîne en 1970, puis ceux d’Antenne 2 en 1972, il est passé par France Inter avant de revenir à Antenne 2 comme directeur de l’information. Ecarté en mai 1981 à cause de ses opinions giscardiennes un peu trop prononcées, il a rallié Europe 1, où il a grimpé les échelons, revenant en cour près de François Mitterrand. Nommé président de France Télévisions en 1993, Jean-Pierre Elkabbach a été contraint de quitter ses fonctions trois ans plus tard. Europe 1 a alors récupéré ce proche de Nicolas Sarkozy, à qui il prodigue parfois ses conseils et demande des avis.
Le troisième papy des médias, Etienne Mougeotte, est un militant plus actif. Bien qu’il ait été un dirigeant du syndicat étudiant contestataire UNEF dans les années 60, ce diplômé de Sciences-Po et de l’Institut français de presse, né en 1940, a pris un virage vers la droite dans les années 70. Après des passages à France Inter, sur la Première chaîne, à RTL, il a occupé le poste de rédacteur en chef, puis de directeur de l’information, à Europe 1 de 1974 à 1981. Pro-giscardien, il a subi l’anathème en mai 1981, devant lâcher les rênes de la station. Chargé des médias au sein du groupe Matra-Hachette de Jean-Luc Lagardère, il a rejoint la direction de TF1 quand le groupe Bouygues en a hérité lors de sa privatisation en 1987. Fidèle bras droit du PDG Patrick Le Lay pendant vingt ans, il a géré l’antenne et l’information de la chaîne, ménageant tous les pouvoirs en place. En 2007, il a rejoint Le Figaro Magazine, avant de se voir confier par le propriétaire, l’industriel Serge Dassault, la direction des rédactions du groupe Le Figaro fin 2007, au service  de l’Elysée.

On prend des plus jeunes et on recommence 

Cumularde et interchangeable, la nouvelle génération, l’est aussi, bien que plus éclectique et semble t’ il moins docile. Elle est composée notamment de Nicolas Beytout, éditorialiste des Echos, ancien du Figaro et proche de Nicolas Sarkozy, qui est régulièrement présent sur les antennes d’Europe 1, France Info, LCI ou i-Télé ; Christophe Barbier, ex-journaliste au Point, patron de l’Express, et omniprésent sur i-Télé ; Franz-Olivier Giesbert, patron du Point, qui a officié à la télévision sur Paris-Première, France 3, France 5 et France 2 ; Jean-Michel Apathie, interviewer sur RTL et chroniqueur sur Canal Plus; Laurent Joffrin, passé plusieurs fois de Libération au Nouvel Obs, souvent sur les antennes de France Info ; Joseph Macé-Scaron, qui travaille à Marianne, ainsi que sur RTL, i-Télé, Canal Plus ; Nicolas Domenach directeur adjoint de la rédaction de Marianne et chroniqueur sur i-Télé et Canal Plus ; Yves Calvi, que l’on entend sur RTL et que l’on peut voir sur France 5 et France 2 ; Eric Zemmour, présent sur Paris-Première, RTL et au Figaro-Magazine.
Naturellement, ils ne sont pas tous sur la même ligne éditoriale : les piques anti-sarkozystes de Laurent Joffrin et de Nicolas Domenach n’ont pas grand-chose à voir avec les refrains de droite d’Eric Zemmour et les élans libéraux de Nicolas Beytout. Mais ils sont soupçonnés de connivences, entre eux et avec les pouvoirs politiques. Dans son dernier ouvrage d’entretien avec son frère, Alain Duhamel a reconnu que « les plus connus des journalistes ont des revenus, des modes de vie, souvent des comportements qui les amalgament au cercle des puissants». Ils habitent, en effet, les mêmes quartiers parisiens que les VIP sur lesquels ils dissertent. Ils les côtoient dans les restaurants chics proches des lieux de pouvoir, comme « l’Avenue », situé à mi-chemin des studios d’Europe 1 et RTL, ou « Chez Françoise » et « Tante Marguerite », à deux pas des ministères et de l’Assemblée nationale. La plupart – dont Duhamel, Elkabbach, Giesbert, Beytout, Joffrin – ont été cooptés au Siècle, le club prisé de l’establishment parisien, où dînent ministres et grands patrons. Et ils sont souvent au mieux avec ces Pdg qui contrôlent les médias dans lesquels ils ont fait carrière, de Serge Dassault (Le Figaro) à Bernard Arnault (Les Echos) en passant par François Pinault (Le Point), Arnaud Lagardère (Europe 1), Martin Bouygues (TF1/LCI), Edouard de Rothschild (Libération) ou Jean-René Fourtou (Vivendi/Canal Plus).
Ancien de Libération et de France Inter, désormais numéro 2 du Nouvel Observateur, Renaud Dély a ainsi convenu, dans la Revue civique, au printemps 2011, que les médias portent une lourde part de responsabilité dans la perte de confiance de l’opinion à l’égard des médias.« Au gré de la fracture civique qui s’est creusée dans notre pays, le journalisme est tombé du mauvais côté commente-t-il. Du côté des puissants, des positions établies, des intérêts à défendre. Bref du côté de ces élites, politiques, financières, intellectuelles contestées de toutes parts. »

Les SAM : sociétés d’admiration mutuelle

« J’ai toujours été un journaliste connivent », admet  Franz-Olivier Giesbert à la première ligne de son dernier livre, « Mr le Président, scènes de la vie politique, 2005-2010 » (Flammarion, 2011). Ironisant sur ceux qui craignent de « se laisser corrompre ou même distraire par la réalité » en fréquentant la classe politique, il précise qu’il dîne avec les politiciens et qu’il les tutoie. La plupart des éditorialistes et journalistes politiques font de même. Tutoiement, repas partagés, bouderies et réconciliations, conseils échangés sont la règle générale. Nicolas Sarkozy s’est beaucoup servi, avant 2007, de ce registre du copinage calculé, jusqu’à la saturation. Il n’est pas rare que les dirigeants politiques interrogent les journalistes sur leur communication. Sans forcément ménager leurs interlocuteurs, les médiacrates sont flattés d’être sollicités. Chantre du politiquement incorrect, Eric Zemmour est écouté dans les cénacles de droite et à l’Elysée. Amis de Carla Bruni-Sarkozy, Denis Olivennes (Europe 1) et Christophe Barbier (L’Express) lui donnent aussi des conseils sur son image. Quelques-uns d’eux ont ainsi participé à l’opération « Il faut sauver la première Dame » au début de sa vie officielle avec Nicolas Sarkozy en 2008. L’opinion publique était choquée par la dérive « bling-bling » d’un président qui venait juste de se marier à une chanteuse symbole de la jet set. Sur consigne de l’Elysée, la communication de Carla Bruni fut aussitôt recadrée afin de lui donner une image conforme à celle d’une femme de chef d’Etat. Sa première interview a été accordée en février 2008 à L’Express, afin que le titre – « Je ferai de mon mieux » – laisse apparaître sa bonne volonté de nouvelle épouse. La sortie attendue du troisième album de la chanteuse   « Comme si de rien n’était » a ensuite servi de prétexte pour délivrer un autre message sur la personnalité inchangée, toujours romantique, de la chanteuse. Une opération spéciale a été montée entre le producteur de Carla Bruni, Patrick Zelnick, et Laurent Joffrin, alors directeur de la rédaction de Libération, deux amis de l’artiste. Résultat : un  entretien-fleuve de Carla Bruni publié le 21 juin 2008, titré « Drôle de dame », provoquant des ventes records pour Libération et des remarques acerbes de certains lecteurs en colère contre leur journal.  La connivence entre médiacrates et politiques peut enfin aller jusqu’au recrutement en bonne et due forme. Catherine Pégard, longtemps rédactrice chef du service politique au Point, a ainsi travaillé comme conseillère à l’Elysée aux côtés de Nicolas Sarkozy depuis 2007. Françoise Degois, ex-journaliste politique à France-Inter, a rejoint fin 2009 l’équipe de Ségolène Royal. Mais aumoins, dans ces cas-là, les choses étaient-elles claires !

Amours politiques

Pour finir, la vie commune de plus en plus affichée des couples de journalistes/politiques complète ce tableau des proximités visibles : Schönberg/Borloo, Sinclair/DSK, Ockrent/Kouchner, Lengrand Bodin/Juppé, Pulvar/Montebourg, Trierweiler/Hollande. La liste est longue !
Toutes ces bonnes relations accréditent l’idée selon laquelle les vedettes des médias et de la classe politique vivent sur la même planète, dans une aimable collusion. Ce qui n’est pas faux. Ils se suivent en permanence, passent souvent des week-ends à échanger leurs vues. Le « off » des conversations les lient. L’accès au pouvoir les rapproche. Voilà comment la caste des médiacrates, qui se retrouve sur tous les plateaux, a appris à se protéger. Ses membres cumulent les jobs qui accroissent leur visibilité, ce qui concourt à une relative conformité de leurs discours. Ils se reçoivent dans les émissions respectives et évitent de se fâcher avec tout le monde. Une question d’intérêt bien compris, à la fois pour défendre la corporation… et pour ménager l’avenir. En oubliant pas de se faire mutuellement travailler, ce qui leur permet de se promouvoir les uns les autres dans divers médias. Editorialiste au Point, Alain Duhamel a ainsi plusieurs fois vanté dans ces colonnes les qualités des livres des dirigeants de cet hebdomadaire ou ceux de Laurent Joffrin, alors patron de Libération, quotidien où il tient également une chronique. Dans le petit milieu des médias, ces coups d’encensoirs entre amis sont aussi fréquents qu’intéressés renouant avec le passé et ce que l’on appelait autrefois les sociétés d’admiration mutuelle…

 

 

par Vincent NOUZILLE

A voir Des vidéos et des portraits à découvrir sur le livre de Vincent Nouzille qui vient de publier« La République du copinage » chez Fayard-LLL

A lire Cartes sur tables, Alain et Patrice Duhamel, entretiens avec Renaud Revel, Plon, 2010

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