1 novembre 2012
L’écolier de la vie

Les mots sortent de sa bouche comme des enfants jailliraient dans la cour d’une récré -joyeux, sûrs d’eux et insouciants. Daniel Picouly est resté cet élève curieux de tout, avec « une fâcheuse tendance à croire que beaucoup de choses se réduisent au travail « ; de quoi sortir d’une fratrie de treize enfants, non comme premier de la classe mais « premier » dans la vie. Ecrivain reconnu-il a eu le prix Renaudot pour l’Enfant Léopard en 1999 et les faveurs du public depuis Le champ de personne, deux ouvrages dans lesquels il revisite son enfance avec un talent de conteur rare qu’il dit avoir hérité de sa mère. Celle-ci, née dans une cité ouvrière du Morvan épousa un Antillais rencontré quand il avait neuf ans et qui eut droit en dot à déjà neuf enfants d’un premier lit! Le seul homme de couleur du village, ce qui ne posait à l’époque aucun problème et du coup, « un bon parti » précise-t’il en souriant, mimant avec tendresse les propos de sa mère. Ainsi est -il toujours prêt à jouer un autre que lui, ravi d’être assis pour cet entretien sur cette banquette rouge à l’entrée du Théâtre Tristan Bernard. C’est là qu’il joue La faute d’orthographe est ma langue maternelle chaque soir à 19heures, continuant le plaisir d’y signer ensuite son livre. Et être encore avec ce public, pour prolonger ce plaisir de l’échange, jusqu’au bout.

Votre pièce tourne beaucoup autour de la littérature. Vous avez vraiment découvert les livres comme ça?

Oui, C’est une espèce de hasard, de chaos la découverte des livres; chez moi il n’y avait même pas de quoi mettre des étagères! Y entraient Le Parisien, France Soir, Nous deux et Paris Match que j’empruntais chez le dentiste. Les livres je les prenais à la bibliothèque de l’école. J’ai donc d’abord fait mon éducation dans les magazines avec mes premiers schémas narratifs tout droit sortis de Nous deux-de quoi savoir très tôt « comment ça marche! » Et puis après, à douze ans, j’ai commencé à lire des livres de poche.

Ce bonheur de raconter des histoires vous l’avez toujours eu?

Très naturellement, c’était une façon d’exister. Quand on raconte une histoire, les gens s’arrêtent, on vous écoute. En colonie de vacances, j’étais commentateur sportif des matchs de catch, de football. J’adorais ça, à la récréation capter l’attention des copains. C’était d’ailleurs pas évident pour les professeurs…

Que vous êtes devenu vous même par la suite!

Je l’ai été 25 ans! Je parle dans la pièce d’un professeur que je voulais tuer mais il y en a un aussi qui m’a sauvé…

Passe alors l’auteur de la pièce Scoop qui vient répéter son texte pour une unique représentation, le comédien habituel ne pouvant assurer le soir même. Je demande alors à Daniel Picouly pourquoi lui, est déjà au théâtre, ne jouant que trois heures plus tard…

Je travaille tout le temps, j’ai beaucoup à apprendre, vous savez.  Comme lorsque j’écris, j’ai besoin de ça,  reprendre une phrase, l’adapter, polir les mots;  il faut que je travaille, travaille, travaille, même dans le métro je répète!

Dans votre émission sur France ô, Le monde vu par… on sent également énormément de préparation..

Oui, moi qui ai fait beaucoup de télé de l’autre côté, comme interviewé,  je sais comment ça marche; on arrive en face de quelqu’un qui n’a pas préparé ou qui ne sait pas et on enclenche! Donc, si je ne veux pas cela, si je veux être bien avec la personne que j’interviewe, regarder ses yeux et si quelque chose survient, pouvoir l’attraper, il faut être bien préparé.

Vous êtes par ailleurs connu pour ne pas être « langue de bois »…Ça vous a coûté cher?

Ça coûte et ça rapporte. Ça rapporte la liberté, ça coûte des postes, des émissions, j’ai la chance d’être financièrement indépendant grâce à ma plume. En ce moment, avec la nouvelle majorité présidentielle,  je me demande si on va venir à un service public qui se démarque enfin de la télévision commerciale. Si on ne fait pas,  ça sera dommage. Maintenant, le succès a rarement tort en matière d’audience, mais en même temps l’audience impose l’urgence; il faut donner du temps, laisser une émission s’installer. Les émissions culturelles doivent en avoir particulièrement, d’autant qu’il y a souvent un fantasme d’audience comme demander un million de téléspectateurs alors qu’à 500 000 c’est vraiment un succès…

Qu’attendez-vous de vos invités  sur un plateau?

Qu’ils  soient bons, en « majesté ». Je veux que les gens qui regardent se disent que celui qui est en face de moi ne se préoccupe pas trop de la caméra, que l’on a réussi à faire notre bulle, d’où l’ambiance du café comme sur Café Picouly-ce bruit qui servait uniquement à ça; s’obliger à une concentration. A l’époque, je recevais des bêtes professionnelles, des vraies bestioles- on m’a pris car moi-même je suis ce qu’on appelle un « bon client ». Je sais m’adapter, faire en fonction de qui est en face. Il y en a par exemple,  je sais que je « mets une pièce » et ça part tout seul. Mais je souhaitais autre chose, que ces gars-là on les prenne très différemment. Vous savez, on est entre animaux! Je sens moi-même tout de suite  à qui j’ai affaire; on se respire et puis on voit bien si on peut y aller ou pas. Ça se passe rarement mal. J’adore en plus ce boulot d’équipe où tout le monde cherche à ce que la lumière soit belle, que tout soit parfait.

Le théâtre c’était une envie depuis longtemps?

Je me suis toujours baladé avec l’impression d’avoir une scène sous les pieds! Que ce soit à l’école ou en colonie de vacances.

La métaphore est belle mais il y une vraie différence quand on se retrouve en face d’un public qui a payé pour vous voir!

Oui, énorme, bien sûr. J’ai pris des cours rue Blanche quand j’avais 20 ans mais j’ai arrêté; j’étais le premier de la famille à entrer à la faculté alors devenir un artiste! Je ne voulais pas faire de peine à ma maman alors j’ai été professeur à la place. Mais je n’aurais pas aimé avoir un passé de comédien, aller chercher au fond de soi des choses qui peuvent mettre en péril votre propre écologie.

Vous êtes attiré par le cinéma?

Pas vraiment, c’est filandreux, on attend, on attend. Et on ne sait pas très bien ce qui va se passer… Mais si ça m’amuse de le faire, je le ferai. Adapter mon livre? J’aime l’idée dans l’écriture de ne pas être confronté à la mécanique financière.  Bien sûr que j’ai eu des propositions mais dès qu’on a de l’argent, on considère qu’on a les idées aussi! Et à partir du moment où le producteur a lu votre histoire, il pense qu’il la connait mieux que vous! Il sait puisque c’est lui qui paye. Alors soit vous acceptez soit vous vous dites que vous êtes légèrement concerné par le fait que l’on va représenter « mon » père et « ma » mère! Et vous émettez quelques réserves et dans ce cas-là, ça ne va pas! Mes autres livres, vous gênez pas! Mais pas mon père, pas ma mère…Pour le champ de personne, on m’a proposé beaucoup d’argent mais non, ce n’est pas possible.

Vous écrivez tout le temps?

Oui, tous les jours. En ce moment je travaille sur ma série de livres pour les enfants, Lulu.

Un homme passe alors le saluer et lui souhaite un bon anniversaire. Né sous le signe de la balance donc bien qu ‘il ait vécu toute sa jeunesse comme scorpion, sa mère lui lisant le même horoscope que celui de son père. Il raconte alors, mimant sa mère ouvrant le journal. Et concluant avec un grand sourire et en ouvrant les bras, « voilà ma mère ».

Et vous, êtes-vous vous-même un père?

Oui, j’ai une fille Marie, « une qui fait treize ». C’est le sujet sur lequel je dis le plus de bêtises alors j’en parle pas trop. En ce moment elle a un stage de cinq jours à faire et alors c’est très important! Il faut que je coure pour elle… Voilà le chapitre sur ma fille.

Ainsi Daniel Picouly parle-t’il comme il écrit. Avec des chapitres qui s’égrènent en sa compagnie au fil de la conversation, en souriant beaucoup. Et en relançant à peine. L’auteur n’en a pas besoin. D’ailleurs, il est déjà parti sur une autre histoire…

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

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