19 avril 2014
Le Tour d’écrou à Lyon, la fascination Britten

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Inauguré par la première scénique à Lyon de Peter Grimes, le mini-festival consacré à Britten fait également entendre deux ouvrages plus chambristes. Inspiré par la nouvelle éponyme d’Henry James, Le Tour d’écrou est peut-être son opéra le plus souvent joué en France – l’Opéra de Tours vient d’importer en mars dernier une production créée à Bordeaux en 2008. S’il peut s’avérer tentant d’expliciter la nature pédophilique de l’abus que semblent avoir subi les deux enfants, Miles et Flora, ce serait pourtant sacrifier la fascinante ambiguïté qui empreint une histoire aux confins du fantastique où les morts reviennent hanter leurs victimes comme des traumatismes vivants.

Les filets du piège

C’est du moins un piège qu’évite la production de Valentina Carrasco, collaboratrice régulière de la fameuse compagnie catalane La Fura dels Baus. Sous son apparence aussi transparente que sa morale, la demeure bordée de cadres et chambranles vides refoule sous son plancher une luxuriante forêt aux couleurs automnales qui remonte à la surface quand apparaissent Peter Quint et Miss Jessel, spectres auxquels répondent les enfants et que Mrs Grose est la seule à ne pas voir. Le symbolisme psychanalytique s’accentue au second acte quand une vaste toile d’araignée tire les meubles, en suspension comme la raison de la gouvernante, avant que tout ne retombe, presque comme avant, lorsque le petit Miles succombera à son aveu. Soulignant au fil rouge la quête illusoire de l’innocence, la première mise en scène de Valentina Carrasco cède au travers des débuts à trop vouloir démontrer son savoir-faire, qui prend parfois le pas sur l’efficacité scénographique et musicale, et révèle son meilleur dans les vidéos mi-oniriques mi-réalistes projetées pendant les intermèdes – l’arrivée de la gouvernante dans une bulle nocturne aux reflets miroitant s’avère particulièrement réussie.

Un Tour d’écrou décanté

Car la partition raffinée pâtit des échos parasites d’objets perchés. D’autant que dans sa lecture claire et décantée, Kazushi Ono en comprend le génie authentique et en révèle les couleurs avec une admirable acuité. Chant et orchestre se mêlent sans jamais se confondre : la fosse détaille ainsi avec une intelligibilité remarquable la narration sous-jacente à ce qui se passe sur le plateau, lequel témoigne également d’un appréciable sens du style. Heather Newhouse incarne une convaincante gouvernante, inquiète jusqu’aux abois. Katharine Goeldner contraste par une Mrs Grose qui ne sacrifie pas sa plénitude vocale à l’âge supposé du personnage. Andrew Tortise et Giselle Allen forment en Quint et Jessel une paire qui n’a pas besoin d’exagérer leur perversité pour exercer leurs sortilèges sur Miles et Flora, presque jumeaux avec leur cheveux albinos – Remo Ragonese et Loleh Pottier, issus de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, et à la technique plus assurée que les juvéniles gosiers habituellement distribués pour ces deux rôles.

Théâtre nô version chrétienne

Avec Curlew River, Britten a accompli une étape supplémentaire sur le chemin de l’épure. « Parabole d’église » moyenâgeuse qui transpose l’esthétique du théâtre nô dans une inspiration chrétienne, l’ouvrage, resserré et économe – à peine plus d’une heure, une douzaine de chanteurs et quelques instrumentistes sur le plateau mêlés au cœur du drame –, est lui-même une représentation par une communauté de moines d’une histoire édifiante où la grâce de Dieu apaise les plus grands malheurs comme celui d’une mère ayant perdu son enfant. La distribution vocale, exclusivement masculine, est dominée par le personnage de la Folle, qui embarque pour la traversée de la rivière dans l’espoir de retrouver son fils disparu. Visage peinturé en rouge, Michaël Slattery maîtrise les changements de registres d’une écriture très particulière mêlant cri, chant et psalmodie. Créée en 2008 au Théâtre des Célestins à Lyon, la production d’Olivier Py, dans le noir usuel des décors signés par Pierre-André Weitz, se met au diapason de cette austérité radicale où le théâtre s’élabore à vue. Dès les premières mesures des chœurs religieux, en latin, l’on est comme happé par des rites quelque part entre orient et occident. Moderne et intemporel, tel apparaît ici Britten, qui ne fut pourtant jamais avant-gardiste, dans ce spectacle étonnant et fascinant aux frontières de l’opéra et du théâtre musical, complétant ainsi le remarquable portrait dressé par ce mini-festival qui lui est consacré.
GL

Festival Britten, Opéra de Lyon, du 10 au 29 avril 2014 : Peter Grimes, Le Tour d’écrou et Curlew River
http://festival.opera-lyon.com/

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