3 janvier 2012
Le théâtre se meurt

Il y a quelque chose de pourri au royaume du théâtre ! Alors que 29 salles parisiennes privées,  ayant annoncé qu’elles boycotteraient la prochaine cérémonie des Molières, cette traditionnelle remise de prix a été annulée, les petites scènes subventionnées, elles, peinent à boucler leur budget. Christian Benedetti en sait quelque chose. Cette figure importante du théâtre français lutte pour maintenir vivant le Studio Théâtre d’Alforville, un ancien entrepôt de vin qu’il a transformé en 1997 en « lieu d’écriture, de recherche, d’intranquillité, de transmission et de partage». Bref, un lieu dédié à un théâtre en mouvement. Son problème ? Trouver l’argent nécessaire pour continuer à créer. « Le budget total de la structure est de 400 000 euros annuels. Or, depuis 2005, à euros constants, les subventions n’ont pas augmenté. Cela réduit considérablement notre marge artistique et nous ne pouvons plus continuer notre travail de création. Deux des cinq permanents ont déjà été licenciés. Si les subventions n’augmentent pas, nous devrons fermer ».
Un vrai désastre artistique, car depuis sa création le Studio Théâtre a fait ses preuves. Il a produit ou coproduit 48 pièces, en a accueilli 52 autres, mais aussi des concerts et des spectacles de cirque. « Au total, plus de 1 900 représentations ». Le travail de Benedetti rayonne bien au-delà des frontières de l’hexagone. L’Anglais Edward Bond est le parrain du théâtre. Avant son suicide, sa compatriote Sarah Kane était auteure associée. En 2001, Benedetti fut d’ailleurs le premier en France à monter la pièce la plus célèbre de la dramaturge britannique, 4.48 Psychose, devenue depuis un classique du théâtre contemporain. D’autres auteurs reconnus, comme la roumaine Gianna Cãrbunariu, la serbe Biljana Srbljanovic, ou le français Christophe Fiat, sont régulièrement joués. Et puis surtout, La Mouette, la dernière mise en scène de Benedetti, a rencontré un véritable succès. « On joue à guichets fermés, on a une presse comme jamais. L’Athénée veut ouvrir sa prochaine saison avec ce spectacle, et Arte a demandé à Arnaud Desplechin de filmer mon travail sur cette pièce. On pourrait encore prolonger la Mouette pendant 2 mois, mais pas plus, faute de moyens. Et après ça, le Ministère dit qu’il faut exploiter les spectacles qui marchent. Il y a là quelque chose d’amoral, d’incompréhensible ».

Transformé en espace de répétition?

Le Studio Théâtre bénéficie aujourd’hui du soutien financier de la ville d’Alfortville, du département du Val-de-Marne, de la Région Ile-de-France. De son côté, la DRAC, qui dépend directement du Ministère de la Culture, refuse d’augmenter sa subvention – aujourd’hui, 142 000 euros. Par mesure d’économie, elle propose de transformer le lieu en simple espace de répétition. « Si je refuse, je perdrais ces 140 000 euros, et les collectivités territoriales ne pourront pas suivre. Ce sera la mort du projet » commente Christian Benedetti. Pourtant, la DRAC n’en démord pas : il n’y a pas d’argent ! Dans son bureau sommairement meublé, au premier étage du Studio Théâtre, Christian Benedetti enrage. « Ça fait 30 ans que je fais ce métier et que j’entends cet argument. Pourtant l’argent existe, ne serait-ce qu’avec 19 millions récoltés par HADOPI. C’est juste un problème de volonté politique ». Difficile de ne pas le croire. Luc Bondy, le prochain directeur de l’Odéon, a obtenu une rallonge de 750 000 euros, de quoi continuer ce que d’aucun appelle une gabegie, avec des productions coûteuses et syndiquées. Et 11 millions d’euros ont été débloqués pour construire le Théâtre Ephémère de la Comédie Française. Les comédiens y joueront simplement pendant la durée des travaux de réhabilitation de la salle Richelieu ! Pour Benedetti, la solution ne réside pas dans une meilleure répartition des subventions – « ce n’est pas en déshabillant Paul qu’on va habiller Jacques » – mais dans un soutien réel à la création.  « Le travail du ministère serait de débloquer des enveloppes pour permettre à une pièce qui rencontre le succès de continuer ». Autrement dit, se mettre plus à l’écoute des artistes et être plus attentif à la spécificité de chaque processus créatif. Une équation difficile qui « interroge la manière de produire, de diffuser et d’accompagner les spectacles. L’institution ne peut pas définir elle-même les modes de production et de diffusion ». Sans compter que les lourdeurs administratives entraînent des retards fréquents dans le versement des subventions. Une vraie plaie pour les budgets ! « Sur nos 400 000 euros actuels, on peut dire que 45 000 euros repartent dans les banques sous forme d’agios. C’est hallucinant, alors que notre gestion est impeccable et qu’on n’a pas un euro de dette ».
La convention de la Drac devait être reconduite en l’état le 31 décembre dernier. Mais Benedetti n’entend pas renoncer. « Ils vont nous mettre en situation de ne pas pouvoir continuer, mais il faudra qu’ils viennent ici pour fermer ».

Mobilisation des artistes

Le 14 décembre dernier, il avait donné rendez-vous à une partie de la troupe de La Mouette, rue de Valois, muni d’une pétition. Ariane Ascaride, césar de la meilleure actrice en 1998, avait également fait le déplacement. « Alors que son spectacle marche très bien, Christian Benedetti est confronté à des problèmes qui n’ont rien à voir avec l’art » regrettait la comédienne. « Les créateurs doivent toujours payer très cher leur billet d’entrée pour être reconnus par le ministère. J’ai si souvent connu ce type de situation. Le subventionnement du théâtre, c’est très compliqué, depuis très longtemps. Ça fait 30 ans que je vois des créateurs se battre auprès du ministère pour avoir des budgets. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la peau de chagrin se réduit de plus en plus. Pourtant, un pays sans art, c’est un pays mort. A mon sens, l’art est aussi important que de boire ou manger ». Arrivés dès 10 heures du matin devant les portes du ministère, les artistes ont insisté toute la journée pour obtenir un entretien. En fin de journée, Muriel Genthon, Directrice de la DRAC Ile-de-France, Stéphane Fievet, Délégué au Théâtre du Ministère et Pierre Lungheretti, Directeur adjoint du Cabinet les ont finalement reçus. Aucune décision n’a été prise, mais une nouvelle réunion est programmée début janvier. Aux dires de Benedetti, « ils avaient l’air, si ce n’est prêts à nous aider, du moins prêts à entrer dans un dialogue véritable. Enfin ». C’est à espérer; réponse donc dans quelques jours…

 

Par Joevin Canet

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