26 janvier 2012
Le souffle court

Parfois, on n’a pas le choix. Il faut s’y colleter. Non pas pour le plaisir, ce serait même plutôt le contraire d’un plaisir. Mais parce qu’il faut se rendre à l’évidence : on a beau aimer l’écrivain, ce livre n’est pas bon. Son papier est peut-être trop fin, en tout cas il glisse des mains. Oui, c’est ça. Ça n’adhère pas. C’est pourtant le propre de son écriture, et son attrait (on parle de Christian Gailly). Elle tourne autour. Elle n’est pas sur la bête, elle traîne sur les à-côtés. Elle be-bope. Or ici (on parle de La roue et autres nouvelles), dur de tourner autour de rien. Dans le roman, il y a quelque chose, une trame, des personnages, on peut swinguer, digresser, se perdre dans les grilles. Dans une nouvelle, on n’a rien, ou presque. Il s’agit de construire un petit quelque chose, un genre de mouton, de sautiller dessus et de s’en aller au plus vite. Si on n’a rien construit au préalable, si on ne court pas vers son but, on est foutu.

John Coltrane contre Carl Lewis

Son truc, dans ses beaux romans, Un soir au club, Les oubliés, Lily et Braine, entre autres, c’est de n’avoir que très peu de sujets et de jazzer autour. On est chez Minuit. Les phrases cavalent, sèches, courtes, puis brusquement l’une d’elles s’arrête net. Le musicien reprend son souffle. Puis il repart. Un vrai rythme de saxophoniste. Or, pour une nouvelle, il faudrait plutôt un souffle de sprinter. Le saxo est parfait pour le long cours. On souffle, on s’arrête, on repart. Ici, droit au but, pas de temps à perdre. Il en perd trop. Il s’agirait de souffler fort, d’un coup, et qu’on n’en parle plus. Gailly tricote mollement autour d’une roue, d’un gâteau ou d’un perroquet, sans éléments on peut bien fouetter, la sauce ne prendra pas.
S’il s’efforce d’élaborer une histoire (Les fleurs coupées, par exemple, qui conclue le recueil) les ficelles sont si grosses qu’on pourrait s’y pendre. Le parallélisme entre Broken Flowers de Jim Jarmusch (à qui le texte est dédié) et la nouvelle est trop artificiel pour parvenir à créer la soupente essentielle d’un récit : sa prétendue véracité. On nous mène sans nul doute en bateau, mais on y croit. Là, non. Et l’incongruité des situations qui a pu faire le charme de Gailly finit par nous irriter.
Bref. Restons-en là. Ça arrive. Il reste à espérer (on n’en doute pas) qu’il ne s’agit justement que d’une question de souffle à reprendre, un passage à vide entre deux solos. Et surtout ne pas trop s’appesantir sur la question, troublante : combien de temps peut-on souffler sans sujet ?

 Par Pierre Ducrozet

La roue et autres nouvelles de Christian Gailly-Éditions de Minuit, 123 p., 13 €

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