5 août 2013
Jean Christophe Polgar/ Le poète voyeur

« Le monde doit être romantisé. C’est ainsi que l’on retrouvera le sens originel » Jean Christophe Polgar aime particulièrement cette phrase du poète et écrivain allemand Novalis. Elle accompagne ainsi une de ses photographies -un simple carré de soleil à travers une fenêtre- dans l’exposition Solitudes qui a pris ses quartiers dans la Chartreuse de Villeneuve-lès- Avignon jusqu’au 18 août. Pour qui a vu le magnifique documentaire Le grand Silence de Philip Gröning , venir ici, c’est s’offrir un moment méditatif rare; traverser le pont, entrer dans ce lieu de silence, s’imprégner de la vie monastique au fil des passe-plats situés à l’entrée des cellules des moines où sont exposées vingt-et-une photos, toutes en couleurs. L’idée est ici d’être dans le réalisme, donner   » à  voir ce que l’on voit » comme le disait Charles Péguy – une valise abandonnée au milieu des hautes herbes, une place de village déserte- et de respecter cet espace où selon les préceptes du chartreux,« on vient s’ouvrir au monde en s’en extrayant ». Un paradoxe tout comme celui de notre monde connecté qui pourtant tend vers une abyssale solitude urbaine comme l’évoquent les clichés de ce quarantenaire qui, à l’origine architecte, la suggère bien plus à travers les lieux que les hommes. De cela se dégagent une beauté brute, une grâce bienheureuse, démontrant que ce qui sépare peut également rapprocher, l’ensemble des photos ayant été prises avec ce démon des temps modernes, un smartphone.

Comment la  photo est-elle arrivée dans votre vie?

J’en avais fait il y a longtemps pendant mes études; il y a deux ans, j’ai commencé à avoir moins de travail comme architecte, travaillant dans une agence assez atypique alors que le marché  a tendance à aujourd’hui privilégier le modernisme « international » et passe partout. Tout ce qui est un peu différent et original tend à disparaître… En fait, c’est mon Iphone qui m’a permis de revenir à la photo; c’est un outil qui permet aujourd’hui de révéler une créativité incroyable en étant tout le temps accessible, ni lourd techniquement ou financièrement.

Et la thématique Solitudes comment est-elle arrivée?

J’aime beaucoup prendre des photos dans la rue et je me suis rendu compte que j’étais particulièrement sensible à la solitude urbaine. J’ai alors fait un peu de tout, en faisant au début beaucoup de montage puis je suis allé vers la simplification. Dès le départ, je voulais travailler avec la Chartreuse. J’ai pu rencontrer le directeur et lui montrer quelques photos l’an dernier. Puis j’ai monté un dossier avec l’idée de faire un parallèle entre la solitude du chartreux qui est pour lui une vocation et le confronter à la solitude urbaine d’aujourd’hui. Nous sommes aujourd’hui tous connectés avec nos portables et autres tablettes mais le sentiment de solitude n’a jamais été aussi fort. J’ai passé alors quinze jours dans une cellule de moine comme résident avec des écrivains, des auteurs de spectacles et pris toutes les photos en quinze jours uniquement dans les alentours; le but était de mettre en présence deux solitudes -la mienne et celles des autres.

Chaque photo s’accompagne d’un texte. Pourquoi ce choix?

J’ai beaucoup lu pendant mon séjour et je ne voulais pas d’une exposition classique avec des photos encadrées sur un mur d’autant qu’on n’est pas dans une technique parfaite. Reste que c’est souvent un piège de mettre des textes descriptifs qui n’apportent pas grand chose à l’image, ou des citations  qui peuvent vite être un peu « cucul ». Il y a des textes que j’aime beaucoup et que je voulais mettre et d’autres que j’ai découverts sur place dans la librairie du théâtre, dans la Chartreuse et la petite bibliothèque.

Votre sensation devant le résultat?

Je suis heureux d’avoir pu créer une exposition intégrée au lieu; les choses seront temporaires et non transposables comme ces grands formats imprimés sur des affiches collées à même la pierre que nous déchirerons à la fin.

Vous espérez vivre de la photographie?

Il y a de plus en plus de photographes, alors ce n’est pas évident même si cet art se démocratise en offrant de plus en plus de possibilités. En même temps, le photo-journalisme ou les métiers liés à la photo argentique disparaissent. On verra donc…

Voir et entendre. L’image, les mots. Nietzsche, Sainte Thérèse, Pierre Reverdy, autant d’auteurs que Jean Christophe Plogar a choisis; ou encore ce détenu à la Centrale de Clairveaux « Je n’ai pas oublié mon identité/Je n’oublie pas l’amour des autres/Quand et pourquoi je suis arrivé ici/D’où je viens et où je veux aller (…)/Si j’oubliais cela, je ne serais plus moi. » A méditer…

 

Par Laetitia Monsacré

Solitudes à voir à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon jusqu’au 18 août 2013-infos

Les photos montées sur plexiglas évoquent un écran tactile et sont installées dans les anciens passe-plats de chaque cellule de moine

L’occasion de découvrir ce magnifique édifice qui face à la Cité des papes, à condition de patienter pour en traverser le pont…

Bande annonce du Grand Silence,  sortie en 2007 en DVD

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