30 juillet 2012
Le philosophe marchand

« J’adore faire. Avec le fer quand il faut ». Voilà qui pourrait être la devise de Claude Mineraud, « quatre fois vingt ans » et qui a su réussir le grand écart en passant du notariat à l’édition; avoir son nom dans le classement du magazine Forbes des plus grandes fortunes françaises, « j’ai fait beaucoup de fric dans ma vie » et s’en venir depuis un an, tous les matins dans une rue du 20 eme arrondissement, à un jet de Belleville pour veiller à la destinée d’une rare et fragile maison d’édition, La Différence. «  Quand Colette Lambrichs ( à l’origine en 1976 de cette maison d’édition avec Joaquim Vital) m’a dit ce nom, j’ai su que j’étais piégé ».  Quel amateur de poésie n’a pas eu un jour sous ses mains ces petits livres carrés de la collection Orphée, de quoi mettre un petit peu de « divin »dans sa poche grâce aux vers de Pessoa, Dickinson, Akmatova, Yeats, Reverdy ou Garcia Lorca-au total plus de 200 titres. C’est justement dans ce petit immeuble inattendu, coincée entre deux HLM, qu’il me reçoit au milieu de livres aux couvertures d’une élégante sobriété et d’ oeuvres d’art contemporain qui semblent y être assorties. L’occasion de me parler de sa  révolte devant le monde d’aujourd’hui en proie à des « pulsions de mort « comme il l’affirme sans détour dans son livre Un terrorisme planétaire, Le capitalisme financier (voir article)

Pourquoi avoir écrit ce livre?

Il y a trente ans que j’ai vu arriver ce que j’appelle la troisième guerre mondiale. Ce que je décrit,  je l’ai vécu au jour le jour et c’est comme un étudiant en philosophie que je n’ai jamais cessé d’être que j’ai voulu décrire comment le capitalisme va de plus en plus vers une dictature et maintenant un terrorisme financier qui empêche la vie de circuler.

Vous pensez que l’on a remplacé la logique d’échange par une logique de puissance? 

Je dirais que l’on a confondu le pouvoir d' »être » avec la puissance. Le pouvoir d’être, c’est de se construire soi même et  faire attention à ne pas mourir de « vivre trop ».

Vous croyez à une possible révolte?

Aussi longtemps que les classes moyenne pourront se payer des vacances toutes les trois semaines, il n’ y aura pas de révolution. Mon petit fils vient de rentrer à Normale Supérieure,  j’espère qu’il saura résister au système. Maintenant, quand j’entends que le nouveau gouvernement va recruter 400 cadres supérieurs sortis des mêmes grandes écoles, je suis atterré. Comment voulez vous que les choses changent? François Hollande avait un boulevard devant lui, Mélenchon avait réveillé les gens…L’indignation ne suffit pas, il va falloir agir maintenant, en cela j’ai confiance dans le peuple grec.

Votre livre est très documenté, comment vous tenez-vous informé?

Je ne lis pas les journaux et ne regarde pratiquement jamais la télévision, mais j’écoute beaucoup; j’entends. Vous savez le notariat est un microcosme extrêmement puissant et représentatif de la société, surtout des classes moyennes.

Pourquoi avoir racheté une maison d’édition?

Depuis mes 21 ans j’ai eu une vie de travail, crée deux sociétés qui valent aujourd’hui 300 millions d’euros tout en oubliant jamais ces heures où j’avais découvert en marchant le soir dans le Poitou la philosophie avec un de mes professeurs. Je suis donc resté ce « marchant » tout en devenant un « marchand  » pendant cinquante ans avec le notariat français. J’ai trouvé aux Editions de la Différence un catalogue extraordinaire, des gens qui avaient besoin de moi et une des taches les plus difficiles de ma vie! Nous sortons 20 livres pour la rentrée 2012 face à des grandes maisons d’éditions qui se concentrent de plus en plus- comme Gallimard qui a racheté Flammarion- et qui au passage devient dépendante des fonds de pensions américains ou asiatiques; c’est ce que j’appelle une autopsie avant meurtre…Si dans une maison d’édition vous avez le profit comme finalité, vous vous casserez la gueule; il faut avoir un projet et créer une communauté de travail avec cette idée que la promotion de soi passe par celle des autres. Et que les dividendes doivent aller d’abord à l’entreprise pour s’assurer des fonds propre, à ses salariés ensuite et enfin, et en dernier, à l’actionnaire.

Qu’avez vous fait en premier en arrivant ici?

J’ai racheté la collection de poésie Orphée qui avait dû être cédée et j’ai lu les manuscrits, il y en avait beaucoup en retard. Nous en recevons environ 30 par semaine. Ce qui les distingue? Il faut que l’on sente chez l’auteur quelle est sa vision du monde, si l’écriture « résiste » et si l’on y parle du politique ou de la politique. Sur 1 200 que j’ai lu, je n’en ai retenu qu’un, Croquis Démolition (un vrai bijou, voir article), le récit poétique d’une usine qui ferme pour être délocalisée.

Pourquoi selon vous les gens écrivent tant?

Car ils sont malheureux et n’ont aucune personne à qui parler. Il y a ainsi beaucoup de frustrations.  J’ai moi même connu ces périodes. Vous savez je suis né dans une famille pauvre, mon père était ouvrier agricole. Mais il avait toutefois une vie intellectuelle. C’est ainsi que  j’ai  lu beaucoup de livres…

Des livres qui pourraient bien nous sauver,  qu’ils nous alertent sur notre société, nous sortent de notre quotidien ou nous donnent envie d’agir à l’image de cet octogénaire qui,  me raccompagnant dans la rue, était prêt à pousser mon scooter, au démarrage récalcitrant, confirmant que l’action n’est pas chez lui  un vain mot.

 

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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