9 mars 2012
Le passeur de livres

Ils sont un peu l’âme de Paris, en tous cas des bords de la Seine. Comme les quais paraitraient tristes sans ces rectangles verts fixés dans la pierre, avec ces images d’un Paris d’un autre temps, estampes ou lithographies, pochettes de vieux vinyls ou collection complète de Jours de France ou Paris Match. Qu’il fasse soleil ou qu’il vente, ils sont là, chacun avec ses jours de prédilections, plus ou moins affables, cédant aux reproductions pour touristes de passage ou collectionnant des pièces rares pour leurs clients fidèles et exigeants. François Robert est l’un d’eux. Cheveux poivre et sel, emmitouflé dans un manteau épais, toute la journée debout en face de la fontaine St Michel, il est le premier à s’être lancé dans la bande dessinée, heureux de ce métier qu’il compare à avoir un jardin, et donc à savoir l’entretenir.

Depuis quand êtes vous bouquiniste ?

Depuis 1979 exactement. J’en ai fait mon métier à part entière, tous les jours, je suis sur le quai, sauf le mercredi. Mais, je ne suis pas le plus vieux. Mon voisin que vous voyez à coté à plus de 93 ans. Beaucoup ont d’ailleurs pris leur retraite. Tous les dix, vingt ans, il y a un renouvellement car peu de gens tiennent longtemps. C’est un métier difficile, il ne suffit pas de se poser devant sa boite à bouquin et attendre que les gens viennent acheter. Nous sommes des artisans commerçants et indépendants, auto-entrepreneurs comme on dit aujourd’hui. Nous sommes propriétaires de nos boites, nous versons juste une taxe à la Chambre du commerce et des métiers. Nous ne payons pas de loyer à la mairie de Paris, même si elle cherche par des moyens détournés d’essayer de nous en imposer un. Pour cela, elle nous propose des nouvelles boites très design avec chauffage intégré qui ne chauffe pas où il faut. Mais aucun des bouquinistes n’a les moyens de lui verser une compensation de 50 euros par mois. Et pour l’hiver, on tient avec un manteau bien chaud et de bonne chaussure. Ma boite date de la Seconde Guerre Mondiale, la seule à avoir un couvercle et une armature arrondis. Malgré tout, travailler dans une librairie à ciel ouvert  au bord de la Seine, est un véritable plaisir. Le Paris que tout le monde rêve, nous le vivons tous les jours.

Comment s’organise votre journée ?

J’ouvre en début d’après midi. On doit être ouvert quatre jours par semaine. Le lundi par exemple, il y a peu de bouquinistes qui ouvrent leur boite. Il faut commencer par ranger les livres, les classer, les couvrir pour les protéger. Au début, je pensais avoir du temps de libre pour dessiner ou lire, mais cela m’occupe en fait  toute la journée. Il faut être réactif à tout moment quand les clients arrivent. En plus, le bruit de la rue avec le flux des passants reste déconcentrant pour se consacrer à une activité plus intellectuelle. Lorsque j’arrive enfin à trouver du temps pour lire, je me retrouve à relire souvent trois fois le même paragraphe!

Où récupérez-vous les bouquins que vous vendez?

Il y a souvent des gens qui viennent nous vendre des bouquins dans une valise toute pleine, me prenant pour la poubelle de Gilbert Joseph, le grand magasin sur la place St Michel qui reprend les livres d’occasion. La plupart du temps, ils viennent nous voir pour nous revendre ce qu’ils n’ont pas réussi à vendre chez eux. Et en général, ils ne veulent pas prendre le temps de faire tous les bouquinistes, car moi, je leur en achète seulement un ou deux bouquins. Il y a en fait surtout  les clients habitués qui me revendent les bouquins que je leur avais vendu quelques années auparavant. En bon état d’ailleurs. Il ne faut pas faire les vides greniers pour un confirmé comme moi. Maintenant, le client cherche des livres d’occasion en état neuf et moins cher bien sûr. Je remarque que les gens en prennent de plus en plus soin aujourd’hui. On peut trouver des livres anciens comme « neuf ». Regardez là, j’ai un Bécassine de 1917 à 220€. Je l’ai rangé dans un coffre fort vitré quand même !

Est-ce difficile aujourd’hui de vivre de ce métier ?

Pour ma part, je me suis spécialisé dans la vente de bandes dessinées. J’étais graphiste avant de commencer ici, il y a 30 ans. J’ai une clientèle fidélisée dans la BD de collection et d’occasion. Il faut savoir que je suis moins cher que la Fnac. Mon secteur est pourtant moins touché que pour les livres. Croyez-moi, c’est devenu beaucoup plus dur depuis l’arrivé d’internet qui nous a compliqué la tache… A cause de cela, je me suis mis à vendre un peu sur le net. Je n’ai pas le choix malgré que je sois connu ici, sur les quais. Certains bouquinistes ont dû diversifier leur vente avec des Tours Eiffel. Et c’est normal. C’est un passage de touristes ici,  la ville est quand même la plus visitée au monde! En tant que délégué de quai, je trouve cela tout à fait juste qu’ils puissent se diversifier et je les soutiens. Evidemment, le mieux serait qu’il y ait  des quais réservés aux produits touristiques et d’autres aux bouquinistes.

Quel genre de client avez-vous ?

Il y a un changement de mentalité. Avant, quand quelqu’un ne trouvait pas son bonheur ici, il allait sur internet. Maintenant, les gens regardent d’abord sur internet, comparent les prix et quand ils ne trouvent pas sur le web, ils viennent nous voir. Mais, je vois les jeunes de maintenant, ils vivent sur leur ordinateur. Ils passent leur temps à lire des mangas et à être en permanence connectés aux réseaux sociaux. En plus, les gens sont désormais plus attirés par les images. Il y a même des comics sur le net en exclusivité. Casterman le fait par exemple. Heureusement, nous avons les nostalgiques, comme la retraitée qui va m’acheter toutes la série des Lili, de Jo Valle and André Vallet. J’arrive à m’en sortir avec mes habitués. Mais, c’est beaucoup plus difficile qu’il y a dix ans. Le plus dur,  c’est de trouver le bouquin que cherche le client pour le fidéliser. On devient de fait des  courtiers pour nos clients. Et regardez, je vois la fontaine St Michel, je suis bien placé, moi. Imaginez celui qui ne voit passer que 40 personnes dans la journée. Et je dis bien passer, car ils ne s’arrêtent pas. Alors pour celui qui veut commencer… Ceux qui s’en sortent, aujourd’hui, c’est uniquement ceux qui se spécialisent.

Pensez-vous que les livres pourraient disparaître et votre métier avec ?

On ne supprime pas la littérature, mais le support. Les gens chercheront toujours des livres, même si ces derniers se vendent de moins en moins. Cela deviendra peut être un objet de collection. Aujourd’hui, notre métier tend à disparaître… Il faudra devoir s’adapter car le tourisme ne suffira pas à combler cette perte. Ils ne lisent pas en français, excepté le Petit Prince, de Saint Exupéry. Vous savez qu’il fait partie des dix bouquins les plus vendus au monde ! Le Petit Nicolas et Harry Potter se vendent bien aussi. Les gens  sont devenus en général plus fainéants qu’avant, ils ne prennent plus le temps de découvrir les perles littéraires. C’est rare qu’un lecteur demande des conseils,  la curiosité se perd. Les clients  savent tout de suite ce qu’ils veulent acheter, grâce à internet. Pourtant je reste moins cher.

De sa poche, il extrait alors un  Iphone, preuve s’il en fallait que le métier doit s’adapter pour durer, même si le plaisir d’une ballade sur les quais ne pourra jamais être remplacé par une série de clics…

par Sylvain Gosset

 

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