10 février 2013
Le pacha touche-à-tout

Jérôme Clément a passé une année comme conseiller artistique à l’Ambassade de France au Caire. On l’imagine ainsi facilement sur la terrasse dans une djellaba en lin, le regard caressant les pyramides au loin. Puis Mitterrand « contre mes prévisions » est arrivé au pouvoir. Le retour alors comme une évidence, « sans savoir pour quoi »; juste une question de fidélité à des idées politiques découvertes à Sciences Po et confirmées à l’ENA. Et l’occasion pour ce littéraire, fils d’une pharmacienne à laquelle il a rendu hommage dans Plus tard tu comprendras adapté par Amos Gitaï avec Jeanne Moreau en fiction TV, frère de la normalienne et philosophe Catherine Clément, de sept ans son aînée, de s’adonner dans les arcanes du pouvoir à ce qu’il préfère -la culture. Dès son stage à la préfecture, son mémoire était sur « l’animation culturelle ». Elle ne le quittera plus, de la chaîne Arte dont il fut le président pendant vingt ans à France Culture où il fit parler les plus grandes, Deneuve, Huppert, Ardant, ou encore Sylvie Testut et Juliette Binoche. Autant dire qu’il est volontiers  prêt  à reprendre ce rôle comme dans ce hall de l’hôtel Lutétia où a lieu cet échange, sans rancune eu égard à son histoire familiale aux heures sombres de cet hôtel pendant la guerre.

Qu’est-ce que la culture pour vous?

C’est une ouverture à 360 ° sur le monde. Une ouverture d’esprit, une curiosité. Je ne viens pas du tout d’un milieu parisien. C’est à  Sciences  Po que j’ai découvert l’histoire, la pensée politique, l’économie avec Pierre Nora; j’étais dans les bons élèves mais j’ai été collé à l’ENA, deux fois, avant en 1968, d’y être reçu. Dès ma sortie, j’ai choisi le Ministère de la Culture où je me suis occupé de l’aménagement des villes moyennes-ce qui m’a beaucoup plu, St Omer, Rodez, Saintes…

Comment la chose politique est-elle arrivée?

J’ai été militant contre la guerre en Algérie dès mes quinze ans, lorsque j’étais à Louis Le Grand. Puis à l’ENA, j’étais élu CFDT. Dans les années 75, j’ai fait partie de ceux qui ont participé à la création du parti socialiste et en 1978, je me suis même présenté, avec le soutien de Mitterrand. Mais j’en ai eu assez à un certain moment des querelles, des atermoiements alors je suis parti au Caire, avec femme et enfants. Puis en 1981, je suis entré au cabinet de Pierre Maurois, Premier ministre, pour m’occuper de la culture. J’ai alors mis en place l’ancêtre du  CSA, la loi sur la libération des ondes avec les radios libres, le prix unique pour le livre, le lancement de Canal plus. Il y a aussi eu ensuite le CNC (Centre national du cinéma) pendant cinq ans avec, en parallèle, la création de la Fémis (école formant aux professions du cinéma).

A cette époque il y avait de l’argent?

Oui, mais ce n’est pas le plus important l’argent, il faut aussi la volonté politique. Il y en avait une très forte à l’époque; on ne peut pas tout mais l’on peut créer les conditions pour que les choses soient possibles. L’inconfort ne crée pas l’artistique selon moi; Retirez l’argent comme en Espagne, il n’y a plus de films.

Que vous reste-t’il aujourd’hui de tout ce que vous avez fait? Arte?

Oui, j’y ai passé vingt ans, ça compte! En 1988, Mitterrand a été réélu et a décidé par la suite que la chaîne serait franco-allemande. Puis en 1991, le projet a abouti. Au début les Allemands n’étaient pas très « pour », on avait des conceptions très différentes sur le droit, le fait d’avoir de l’information. En revanche sur le contenu culturel nous étions d’accord.

J’ai adoré « faire ». Créer avec un instrument au service de la connaissance. J’avais trouvé cette formule: Arte, soyons curieux. J’ai assisté à sa croissance, je l’ai vue embellir comme je le raconte dans mon livre, Le choix d’Arte (publié en 2011 chez Grasset). Pour le cinéma, elle produit aujourd’hui plus de 400 films, réalise des captations d’opéras. Comme je suis curieux de tout et  incapable de choisir, la chaîne a été vers toutes les formes de cultures. Puis en 2011, j’ai eu envie d’autre chose. Ne plus consacrer autant de temps sur les choses secondaires. Et en avoir plus pour écrire, lire, me promener et réfléchir.

Aujourd’hui vous êtes président de la maison de vente aux enchères Piasa, vous êtes vous-même collectionneur?

Oui, je marche au coup de foudre. J’aime beaucoup les artistes multi-facettes, qui sont à cheval sur plusieurs arts. Les artistes de transition, Kupka, Picabia, les artistes qui ont fait des choses très variées. Lorsque j’ai été président de la Fondation Nationale de la Photographie, je m’étais lié avec Boubat; il y a aujourd’hui un photographe que j’aime bien et dont je viens d’acheter un grand format représentant des touaregs, c’est Antoine Schneck (bien connu du Pariser-voir article).

Vous êtes également présent au Musée d’Orsay et au Théâtre du Châtelet…

Oui, j’y aide mais sans décider. J’aime beaucoup accompagner les gens, être un incitateur comme Métropolis de Fritz Lang diffusé avec un orchestre en live dans cette magnifique salle où la programmation est si riche et variée, avec en ce moment le magnifique opéra chinois Le pavillon aux Pivoines avec Tamasaburo Bando, un chanteur danseur qui est considéré comme un trésor national vivant au Japon. Je produis aussi des films, notamment l’adaptation de Alias Caracalla de Daniel Cordier, l’ancien secrétaire de Jean Moulin ou encore Mille feuilles de Nouri Bouzid sur les femmes et le voile en Tunisie.

La presse vous aurait intéressé?

Oui, mais on ne peut pas tout faire; en plus ce n’est pas mon métier, je ne suis pas journaliste. Aujourd’hui, je n’ai plus envie de gérer des gros trucs. Réaliser pour France 5 un Empreintes comme celui de Laurent Fabius, ou un film sur mon ami Toscan du Plantier, cela me suffit.

Si c’était à refaire, vous changeriez des choses?

Je suis assez content, je pense que j’ai eu la chance de réaliser des choses en accord avec mes convictions. Je n’ai jamais fait de concessions. Je ne vais pas m’auto-glorifier mais j’étais là au bon moment.

La chance. Elle paraît chez cet homme, bien « active », même si l’on ne sent chez lui aucun plan de carrière. Sans doute la raison pour laquelle la « chose » artistique l’a-t-elle bien accueilli avec cette idée qu’en sa compagnie, elle serait bien traitée…

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

 

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