7 janvier 2012
Le musée humaniste de Le Clézio

Septième invité du Musée du Louvre après Pierre Boulez, Toni Morrisson ou Robert Badinter, le prix Nobel et écrivain ô combien rare, JMG Le Clézio est dans ses murs jusqu’au 6 février 2012. Physiquement comme cette conférence inaugurale jeudi 4 novembre où le pas ample et mesuré, il est monté sur la scène d’un amphithéâtre bourré à craquer, commençant par des remerciements sonnant comme  de la poésie, grâce cette voix unique- réconfortante et si calme. Une heure durant, rien ne sera dit de façon neutre même si la lecture de son texte eut été enrichie par la présence d’un interlocuteur comme François Busnel. C’est en effet seul en scène, soumis aux affres de l’informatique pour changer les photos projetées sur grand écran que l’écrivain parla de toutes ces cultures exotiques qui lui tiennent tant à coeur. Ainsi rappelle-t’ il le travail de Levi Strauss pour enfin sortir de ce racisme qui consistait à considérer tant de peuples dit primitifs ou non européens-de culture inférieure. A l’image de Haiti où l’Amérique envoya des soldats sudistes car ils savaient s’occuper des « nègres » .

Merci d’exister

« La créativité c’est la victoire des rencontres » ajoute-t’ il en parlant de ces low-riders dont les voitures montées sur un châssis rabaissées ont trouvé place dans la galerie extérieure du Musée. Le moyen que ces mexicains ont trouvé pour exprimer leur identité; des voitures au raz du sol qui font jaillir des étincelles, en opposition aux gros 4×4 des riches. « Et pour échapper aux contraventions, ils ont installé un système de pompes hydrauliques pour relever le châssis s’ils sont arrêtés par la police » raconte- t’ il sans effet de voix. Transformer une voiture en oeuvre d’art, voilà qui a plu à l’écrivain humaniste que le public écoute un peu comme l’on se rend à la messe- les yeux mi-clos, plein de respect. Lui leur  parle d’humiliés, d’offensés puis propose« d’échanger ». Une femme témoigne de sa gratitude- « Merci d’exister ». Et Le Clézio, un peu mal à l’aise,  de rappeler qu’il est impossible d’établir une échelle de valeur, « de dire qu’une chose est plus proche de la réalité ou l’exprime mieux. » Une certitude en tous cas: « Nous devons apprendre à respecter la vie et pas seulement les musées. On peut vouloir sauver des oeuvres d’art et ne pas respecter les humains. » Puis, les questions « semblant s’apaiser », l’autre passion de l’écrivain- la mer si présente dans son oeuvre ( relire les magnifiques premières pages du Chercheur d’Or) trouve une belle illustration dans  un concert méditatif de l’anglais Chris Watson composé exclusivement de bruits de vagues et sons de baleines, de phoques et d’orques.La lumière rallumée, la fille de l’écrivain l’entraine loin des sollicitations en tous genre- son grand corps paraissant tout d’un coup très fragile. Voilà de quoi donner en tous cas d’aller voir ces tableaux, ces objets venus de contrées lointaines qui ont trouvé leur place dans l’Aile Sully.

Adepte de la transversalité

Un juste retour aux sources puisque ces arts « premiers » comme on les appelle furent exposés en  1830 au Louvre  avant d’être envoyés au Musée de l’homme place du  Trocadéro et ensuite au Musée du quai Branly. C’est donc dans la Chapelle, une petite salle à coté des Antiquités égyptiennes que Le Clézio a crée son musée « rêvé » où sont cités  Malraux et André Breton, tous deux adeptes de l’art haitien « premier peuple des peintres » et dont les noms sont pleins de poésie- Louisiane, Prospère, Sénéque ou Phimomé. Et même si « les apparentements peuvent être dangereux, ce qui importe c’est l’existence aux mêmes moments de techniques et de concepts totalement différents mettant côte à côte le réalisme le plus accompli et l’expression de la magie et l’imaginaire ». Ainsi Jean Michel Baquiat cohabite-t’ il à côté d’Hector Hippolyte, peintre haïtien du début du XXème siècle, des objets vaudous avec des antiquités égyptiennes , des sculptures d’Hervé Télémaque avec des statuettes d’Afrique noire, des paniers byzantins avec des ex-votos mexicains ou des nattes venues des îles Vanaotu. »Ici l’on parle d’art, là on parle d’artisanat. Mais où est la frontière? » commente Le Clézio. Peu d’objets européens sont dans sa sélection, lui qui vit dans le Nouveau Mexique et a grandi bien loin de sa Bretagne natale. Son hiver sera pourtant bien parisien avec une quantité de manifestations autour de cette invitation comme ces paysages sonores à nouveau par Chris Watson dans les Appartements de Napoléon III, du théâtre avec Pawana mis en scène par Georges Lavaudant, du cinéma avec Kurosawa, Satyajit Ray et quantité de lectures pour petits et grands. De quoi rendre un peu moins sauvage ce grand écrivain.

 

par Laetitia Monsacré

« Achetez un livre, sauvez un tableau », un très bel ouvrage aux éditions de Capri est en vente 25 euros avec des reproductions de tableaux commentés par Le Clézio pour venir en aide au Musée d’art haitien de Port au Prince dévasté par le tremblement de terre de 2010.

Ne manquez pas en sortant de l’exposition la salle des bronze, ancienne salle haute et son très beau plafond peint en 2007-2009 par l’artiste américain Cy Twombly. Et n’hésitez pas à tendre l’oreille au gré des conférenciers surtout s’ils rendent l’histoire de l’art aussi trépidante qu’un roman à l’image de cette femme brune racontant les grecs à des ados, casques sur les oreilles, captivés…


Exemple de low-car mexicain, présentée dans la galerie menant à la rue de Rivoli

 

Articles similaires