4 mai 2012
Le magicien de l’éphémère

Olivier Echaudemaison a été coiffeur et maquilleur. Deux arts éphémères, avant d’arriver chez Guerlain comme directeur artistique, veillant à ce que son sens du détail et son goût qu’il a fort sûr, profitent à cette vénérable maison dont les parfums ont fait la renommée. Monté à Paris après avoir changé  son prénom-« c’était ça ou changer de couleur de cheveux »-celui qui dit ne pas avoir eu particulièrement d’ambition est ainsi à l’origine de ce dépoussièrage ô combien talentueux; de quoi faire  d’un produit de maquillage presqu’un objet d’art comme pour le rouge à lèvre « Kiss Kiss » qu’il a crée lui même, avec un goût certain pour les courbes. Ou faire appel aux imprimés colorés et vifs de Pucci car pour des « raisons politiques, nous avons besoin de couleurs! » C’est pourtant tout en noir qu’il est habillé dans ce salon au premier étage de la boutique historique Guerlain sur les Champs Elysées, portant juste une discrète broche à la boutonnière, un camélia, pour cet amoureux des fleurs qui, dit-il,  aurait pu être fleuriste dans une autre vie.

Comment avez vous débuté?

Au début, je voulais être illustrateur. Gruau était pour moi mon idole. Puis ensuite couturier-à l’époque on était modéliste d’ailleurs. Alors une amie m’a dit que la meilleur façon d’entrer dans une maison, c’était par la coiffure! Il y avait alors trois grands coiffeurs, Alexandre, Carita et Guillaume. J’aimais bien Carita qui rendait les femmes très belles sans les déguiser; j’ai donc décidé d’y aller et arrivé rue de faubourg Saint Honoré, j’ai pris la rue dans le mauvais sens! je suis entré dans l’hôtel particulier d’Alexandre qui m’a engagé sur le champ; je me souviens, il avait un gilet rouge avec une pendule autour du cou-j’ai bonne mémoire-dont j’ai appris plus tard que c’était l’Aga khan qui lui avait offert. Mais je voulais pas faire la bouclette! je voulais entrer dans le milieu. Les clientes qui poireautaient tout le temps m’appréciaient beaucoup car je parlais avec elle de tout-de livres, de théâtre, etc…

Vous vous qualifiez volontiers de dilettante…

Je suis un gros bosseur mais j’aime m’amuser. Si je m’amuse, je donne le meilleur. Si le talent c’est de durer, et bien durer c’est avant tout selon moi prendre du plaisir. Quant à l’aspect éphémère, j’aime beaucoup cela. Pour la coiffure, je faisais des crêpage très léger en disant à Alexandre horrifié: Ne vous inquiétez pas, elle reviendront demain, elles ont des amants me clientes! Elles n’avaient rien d’autre à faire et voulaient que les hommes de leur vie puissent passer leurs mains dans les cheveux sans que ça résiste ou ça colle…Certaines dormaient même assises. A ce moment là, ce qui m’a beaucoup plu c’est de rencontrer les mannequins, de grandes filles américaines et suédoises-il y avait peu de françaises à l’époque.Et des photographes comme Richard Avedon, le premier avec lequel j’ai travaillé. Je préférais ça aux films sur lesquels on passe son temps à attendre; là, les filles avaient une demi heure pour se maquiller, la même chose pour se coiffer. Résultat, elle était encore « vivante ». J’ai adoré cela, cette grande époque des années 60 avec Vogue et Diana Vreeland, Harper Bazar, ces voyages en Inde, tout cela sans qu’il y ait de maquilleur!Les filles se maquillaient elles-même-créant leur propre personnage. Alors je les ai regardées faire en me disant que c’était beaucoup plus drôle que la coiffure car avec un mouchoir, on pouvait recommencer à zéro. Alors qu’un mauvais coup de ciseaux…

Il s’interrompt alors, sa voix couverte par les sifflets ininterrompus venant d’un officier de Police chargé de la circulation dans l’avenue, un étage plus bas : »C’est une femme en plus; elle est jalouse de ne pas être avec nous » commente t- il en riant. Il me raconte alors son passage chez Vogue à Londres comme précurseur du  stylisme -sans être payé, puis sa rencontre avec la grande Estée Lauder, son départ pour New York où tout se passait et comment il la faisait rire en mettant les mains dans les couleurs et les appliquant sur les mannequins.

Vous avez donc été novateur?

C’est vrai que j’ai été le premier à créer des trios pour les paupières et à maquiller non plus horizontalement l’oeil-façon vieux chien- mais verticalement en remontant. J’avais alors eu envie de créer une ligne de A à Z, ce que m’a permis Hubert de Givenchy. Le prisme avec les carrés rose, rouge et vert, c’était moi! Puis, j’ai voulu Guerlain pour avoir la possibilité de donner en plus du produit, l’objet, la part de rêve pour que les femmes aient du plaisir à s’en servir. J’ai alors fait appel à des joailliers comme pour le mascara avec un miroir; des gens qui apportent une vraie sophistication, un vrai savoir faire pour sortir un produit dix huit mois après qui soit désirable. Et comme j’ai de l’expérience, je sais mieux qu’une agence quoi faire! Désormais on fait tout en interne.

Comment faites vous pour lancer un produit qui va plaire autant à l’américaine qu’à la japonaise?

Je fais avant tout quelque chose qui me plait à moi. Si on dit Paris, les yeux brillent. Elles recherchent avant tout Paris et nous sommes la seule marque qui vendent dans nos boutiques en propre. Nous avons donc une vraie image parisienne.

Pensez vous que la parisienne existe encore?

Oui, elle seule sait mélanger les styles et les marques. Elle est avant tout libre et versatile, capable de lancer les modes.

Avec tous ces nouveaux produits, vous faites comment?

Je travaille vite et puis j’ai l’oeil, question d’experience. Heureusement car c’est dix huit mois avant qu’il faut devinez les tendances, il faut être un peu visionnaire contrairement à la couture où c’est seulement six mois à l’avance. Je voyage aussi beaucoup par nécessité en essayant que cela soit encore du plaisir mais je n’ai plus le temps de m’évader pour voir des artistes locaux comme au Japon. Avant j’avais plus de liberté mais moins de pouvoir!

Et votre inspiration?

Je pourrais vous raconter des bobards mais elle vient beaucoup de la rue. Les gens y sont souvent moches  mais vous avez toujours un flash, quelque chose qui vous éblouit.

Un point commun avec Mademoiselle Chanel qu’Olivier Echaudemaison a connu et dont il raconte volontiers sa dureté, lui qui a pris le parti de « la gentillesse ». De quoi devant sa réussite et son talent, en convertir plus d’un…

 

Par Laetitia Monsacré

Rouge à lèvre bijou ou poudrier de sac ciselé, le raffinement au service du luxe accessible…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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