17 juin 2012
André Mary, le kiosquier philosophe

Il a des allures de marmotte. Un bermuda avec des chaussettes hautes lorsqu’il fait un peu frais et que l’on peut le voir autrement qu’en homme-tronc derrière sa pile de magazines. Tout les sénateurs le connaissent, les habitants du quartier aussi, certains mieux que d’autres avec à l’occasion, le privilège de ses conseils de lectures. Pas de journaux, ah non, mais de livres, le plus souvent de philosophie, lus entre deux clients. André est kiosquier depuis presque dix ans, occupant celui face au Sénat depuis 1998. Un métier qui peut mener à l’écriture comme Jean Rouaud- merveilleux prix Goncourt avec Les Champs d’honneur, au cinéma, avec une belle humanité comme pour François Cluzet dont le père exerçait ce beau métier ou à une observation implacable de notre société. Voici la sienne, donnée sur le vif, dans le café d’en face, Le Tournon où il prend chaque matin un allongé en saluant par son prénom la serveuse.

Quel est votre parcours?

Je n’en ai aucun, c’est un parcours d’errances, de perditions, fait d’à côtés.  Tous les six mois on peut changer de lieu. Je suis profession libérale mais c’est la ville de Paris qui chapeaute l’ensemble. Tout le monde peut postuler à condition d’avoir un casier vierge de chez vierge. En fait, j’étais avant dans l’enseignement, mais j’en suis parti à cause du conformisme, de la rigidité, de ce système qui fige les gens, les met dans des petites cases avec des petites notes administratives- tout cela évidemment au détriment des enfants…Le kiosque, ça a été comme une boucle. Mes parents étaient commerçants, ils tenaient un hôtel à Levallois. J’ai donc été élevé au contact de la clientèle, un peu livré à moi même. En fait, je suis revenu à la rue, tout en y étant pas. J’en avais gardé l’image de quelque chose de dur, de solitaire et j’ai pu en fait y découvrir des gens, des choses que je ne connaissais pas. aujourd’hui, je me considère être un « sans avenir fixe ».

Vendre de l’écrit, ça compte pour vous?

Oui, même si je suis venu à la lecture tard. J’ai commencé avec Henri Miller. C’est vraiment lui qui m’a fait découvrir les livres. Mon père lisait lui Le Figaro et Le Monde. Mais à part quelques magazines que je parcours, je cherche quelque chose de plus construit dans mes lectures, de l’érudition ou une écriture, comme chez les philosophes. J’aime découvrir une pensée.

Y-a-t’ il des liens qui se créent avec les clients habitués?

Oui, car on est un peu l’enfant abandonné qui demande à être adopté. Il y a un temps d' »adoption »nécessaire aux clients d’ailleurs à chaque changement. Le kiosque, c’est une scène, on peut donc se créer un personnage, être amené à se raconter. Les sénateurs par exemple aiment bien qu’on s’intéresse à eux…

Quel est votre quotidien?

C’est tuant. J’ouvre à 6 heures trente le matin pour classer les invendus, ranger et faire les commandes pour le Sénat. Et je finis à 19 heures 30, sauf le dimanche. Je suis payé à la commission ce qui  en général fait 1500 euros par mois; je suis pas cher de l’heure! A midi, j’apporte mes repas, j’ai un micro-onde et je réchauffe. En août, je prend un mois et je pars en Normandie. J’ai besoin de m’éloigner de Paris. En ce moment, je découvre le Val d’Oise, chaque dimanche en scooter. Il y a tellement de sollicitude dans une journée que j’ai vraiment besoin de couper. Toute une journée au contact permanent avec les autres, c’est épuisant.

Vous considérez-vous sur-informé au milieu de tous ces journaux?

Il y a une très grande pauvreté dans tous ces écrits. Un manque d’ouverture, un manque d’horizons. Tout ce qui manque à la société en fait, avec d’immenses « trop » et d’immenses manques. On est dans la répétition, les mêmes erreurs, les mêmes échecs, les mêmes impasses. On tue les enfants à l’école, on tue la nature.

Il se met alors à me parler de cette femme qui lui racontait que dans son quartier du 15 ème arrondissement, avant le  square Brassens, il y avait des abattoirs pour les chevaux, de ceux qui ne pouvaient plus servir. Et que cette femme, lui avait dit les voir pleurer lorsqu’on les y menaient.

Sans doute la métaphore de notre société, ô combien cruelle et dont il est un témoin à la fois triste et gai, observateur philosophe, un peu résigné, mais plein de malice  lorsqu’il s’amuse à payer nos consommations en sortant une grosse liasse de billets. Car il faut rire de tout cela pour ne pas en pleurer…

 

Par Laetitia Monsacré

 

 

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