31 janvier 2012
Le jazzman cérébral

Aucune publicité n’a entouré la venue, début décembre, du pianiste new-yorkais Aaron Goldberg, qui a tourné et enregistré notamment avec Joshua Redman et Kurt Rosenwinkel, le haut-du-pavé du jazz américain actuel. Lui-même ne goûte pas les vagues autour de son nom. Pourtant, grâce au bouche-à-oreilles, le musicien  a rempli trois soirs durant le Sunside, un des clubs de jazz de la rue des Lombards. Ce natif de Boston n’envisageait pas de rencontrer de journalistes, mais après avoir joué au chat et la souris pendant tout un week-end, il a accepté de recevoir The Pariser. Au départ quelques minutes accordées qui se transforment  en demi-heure, au point de nous faire attraper au col par le responsable de la salle, s’impatientant en attendant la vedette…Diplômé de Harvard, à la fois en Histoire, et en Sciences comportementales, je voulais qu’il m’explique en quoi de pareilles études pouvaient servir son activité musicale actuelle. Grâce à l’intervention de Patrick Schuster, de chez Naïve, distributeur français de son label américain (Sunnyside), nous nous sommes finalement retrouvés dans un fauteuil de l’Hôtel des Ducs d’Anjou, au bout de la rue.

Quel lien faites vous entre votre degré d’études et  le jazz?

Le travail sur le cerveau et les sciences du comportement m’aide à construire, à créer en harmonie avec l’environnement humain. Le jazz est un langage et comme tout langage, il contribue à la communion de plusieurs mondes- en l’espèce musicaux. La psychologie m’aide à entretenir des rapports en profondeur avec les collègues, tout en conservant l’esprit logique. Le trio vise à une musique élaborée. Cependant aucune raison de me regarder comme une machine! Au départ j’ai évidemment fait confiance à l’intuition pour choisir les protagonistes. A l’instinct, comme lorsque vous choisissez un ami. Pourquoi? Eh bien parce que nous improvisons la plupart du temps. Nos esprits sont maintenant synchronisés. La connexion fonctionne de manière intuitive. Une fois le thème exposé, certains morceaux sont improvisés à 99%. Notre catalogue comprend une cinquantaine de pièces. Nous assurons des concerts depuis quatorze ans. Imaginez : quel ennui royal si nous jouions la même chose tous les soirs!

Pourquoi vous engagez- vous depuis plusieurs présidentielles?

Les pouvoirs politiques sont devenus spécialistes dans la propagande. Pour échapper au matraquage, je n’ai rien trouvé de mieux que de m’engager. J’ai soutenu John Kerry. Je le connaissais : il a réalisé un boulot fantastique comme sénateur dans mon état natal du Massachusetts. J’étais en classe avec sa fille. Écœuré par la politique catastrophique de George W. Bush, j’ai décidé d’organiser un concert à New York en faveur de la candidature de Barack Obama. J’ai mobilisé mes pairs. Les réponses positives m’ont agréablement surpris. Les jazzmen s’étaient déconnectés de la politique depuis les années 80. Des figures comme Joe Lovano, Christian Mc Bride, Nicholas Payton, Joshua Redman, se sont impliqués. Pour la seconde édition, toujours en 2008, Roy Haynes lui-même a joué.

Retour au Sunside. Le concert démarre avec une demi-heure de retard. Le patron m’engueule. Entrée de l’artiste. Ovation du public. Le morceau Burrito ouvre le set. Il figure sur l’album Bienestan, enregistré avec le claviériste Guillermo Klein, sorti l’ été dernier. Les lignes voluptueuses de la balade flattent les sens des amateurs. Servies par une rythmique à la hauteur : le contrebassiste caribéen Reuben Rogers et le batteur Eric Harland, un Texan survolté, des monstres vivants qui ont accompagné Charles Lloyd en juillet, aux Arènes de Montmartre. Leur assise exceptionnelle transcende les arpèges. Et Aaron Goldberg de grincer que justement,  Lloyd lui avait piqué sa rythmique. Un truc de filou mais, on aurait fait pareil, non?

 

par Bruno Pfeiffer

 

Bienestan, d’Aaron Goldberg, sur le label Sunnyside/Naïve

 

Articles similaires