6 août 2016
Le festival Messiaen ou le piano sur les sommets

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Avec l’imposant glacier de La Meije au premier plan, éden pour les randonnées hors des sentiers battus au cœur d’espaces grandioses où Messiaen aimait à se ressourcer, le festival imaginé autour d’un des plus essentiels compositeurs du siècle écoulé par un passionné, Gaëtan Puaud, se met depuis dix-neuf ans au diapason d’une nature qui a largement inspiré le musicien français. L’édition 2016, qui met la production pianistique de Messiaen a l’honneur, s’ouvre sur une réduction pour pianos – due à Yvonne Loriod, son épouse – de son seul opéra, Saint-François d’Assise, considéré comme l’un de ses testaments musicaux. L’opus lyrique a, entre autres, marqué les mélomanes par son vaste Prêche aux oiseaux, où la séquence franciscaine laisse livre cours à la passion ornithologique du compositeur, laquelle s’est par ailleurs développé dans un monument pour clavier, le Catalogue des oiseaux. Si La Grave a déjà programmé le cycle, le village alpin accueille pour la première fois une « nuit des oiseaux », réunissant l’intégralité du corpus ornithologique de Messiaen, au cours de laquelle se relaieront pas moins de quatre interprètes, de dix-huit heures à minuit, avec, à mi-parcours une collation à l’air des cimes.

Les chants d’oiseaux au complet

Wilhem Latchoumia ouvre le Premier Livre et déploie un toucher à tendance percussive, qui profite d’abord au Chocard des Alpes, et plus encore à la volubilité rythmique du Merle noir, davantage sans doute qu’au babil plus pacifique du Loriot. Le Merle de roche, qui occupe le Sixième Livre, confirme cette approche minérale, laquelle accentue l’abrupt pittoresque de la description. Avec les Deuxième et Troisième Livres, Peter Hill privilégie une vision plus poétique, au diapason des atmosphères nocturnes où s’épanouissent la Chouette Hulotte et l’Alouette Lulu – et un héritage chopinien que d’aucuns ne manqueraient pas de suggérer, ainsi que la journée d’études le matin du concert a pu le développer, entre autres figures tutélaires du piano de Messiaen. Connaisseur méticuleux de Messiaen, jusqu’à reconstituer la Fauvette Passerinette, esquisse qui devait augurer un second volume du Catalogue et dont il offre la primeur au public de La Grave en seconde partie de soirée, le soliste britannique dessine avec patience des climats évocateurs, à l’image de la méridionalité dans laquelle baigne le Traquet Stapazin. Le métier de Markus Bellheim donne vie aux Quatrième et Cinquième Livres, de la Rousserole effarvatte à la Bouscarle en passant par l’Alouette calandrelle, et l’on retrouve cette justesse expressive dans la Fauvette des jardins après la pause-repas. Quant au jeune et brillant Lorenzo Soulès, disciple de Pierre-Laurent Aimard venu remplacer Momo Kodama, la clarté analytique de son jeu sensible illumine le dernier livre, où se succèdent la Buse variable, le Traquet rieur et le Courlis cendré. Cet équilibre entre l’intelligence de la forme et les ressources évocatrices, témoin d’une maturité remarquable, se confirme dans les Petites esquisses d’oiseaux, recueil écrit après sa fresque lyrique Saint-François d’Assise qui referme la soirée.

De Messiaen à Kurtag

La veille, Michel Béroff livrait un autre grand monument de la littérature pianistique légué par Messiaen, les Vingt Regards sur l’Enfant Jésus. Composée à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la partition porte l’empreinte de la profonde foi catholique du musicien, et anticipe la dramaturgie de la Turangalîla-Symphonie. On y reconnaît une semblable alternance – teintée de symbolique numérique – entre des envolées puissantes, sinon véhémentes, déployant de redoutables moyens, et des plages extatiques, voire mystiques, d’une profonde intériorité. L’interprétation démontre une évidente maîtrise de la rhétorique de l’ouvrage, et de ses parentés avec la production contemporaine de Messiaen, au fil d’un voyage que plus d’un auditeur qualifierait d’initiatique. C’est à une autre évasion qu’invitent, quelques centaines de mètres plus haut, aux Terrasses, Donatienne Michel-Dansac et Hae-Sun Kang avec les Kafka-Fragmente de Kurtag, participant à la célébration du quatre-vingt-dixième anniversaire du compositeur hongrois à laquelle le festival Messiaen a voulu, à juste titre, s’associer – l’ensemble de la programmation le confirme tout au long de la semaine. Cahier d’une quarantaine de miniatures puisant dans des phrases sinon des mots choisis dans les lettres et les journaux du romancier tchèque, les Kafka-Fragmente explorent les confins du souffle et de l’émotion, que le duo violon et soprano détaille avec une minutie intense, tenant captive l’attention du mélomane : un moment rare, comme sait les concocter Gaëtan Puaud depuis près de deux décennies dans un rendez-vous estival que les connaisseurs, toujours plus nombreux, inscrivent à leur agenda, à l’image d’un américain venu de San Francisco pour suivre l’intégralité du festival. Avec Messiaen, la musique prend l’air des cimes – et de la Meije.

Par Gilles Charlassier

Festival Messiaen, du 23 au 31 juillet 2016. Concerts des 27 et 28 juillet 2016

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