14 mai 2012
Chef de quart

Jour des cartons. Ce mardi 15 mai,  Guillaume Lambert, ancien chef du cabinet et directeur de la campagne de Nicolas Sarkozy quittera définitivement l’ Elysée, ainsi que ce  bureau Empire derrière lequel  il nous reçoit et  qu’il occupe depuis 2009. La fin d’une belle aventure pour cet ancien marin qui a de quoi vous réconcilier avec les hommes politiques; un ego et la chose est rare, fort mesuré, qui lui a sans doute permis de devenir le compagnon de route d’un Président qui en avait à revendre. Guillaume Lambert est de ces hommes qui a la présence rassurante et discrète que les imbéciles prennent pour un manque de confiance en soi. Pourtant, c’est lui qui, après l’ Elysée a piloté ce marathon puis le sprint final jusqu’au 6 mai dernier, côtoyant jour après jour le Président, sans doute impressionné par ce quarantenaire au calme olympien qui restait dans son ombre-« une ombre portée« . L’agenda qui va rigoureusement changer d’allure, les sollicitations qui vont disparaitre, les faux amis aussi, comment résiste- t’on à cela? Les souvenirs des meetings, de camaraderie qui resteront aussi, l’histoire que l’on refait- les étagères sont vides mais Guillaume Lambert reste habité de cette fonction qu’il a choisi depuis toujours, servir l’Etat.

 

Comment vous sentez vous en cette veille de départ?

Bien,  après avoir eu cette tristesse de perdre quand on a été  à ce point engagé auprès du Président.

Comment s’est fait la rencontre avec Nicolas Sarkozy?

Par le plus grand des hasards, c’est une série de ricochets. Je suis arrivé dans ce circuit des cabinets ministériels par hasard; j’étais sous préfet à Nantes puis Laurent Wauquiez m’a choisi et, après six mois je suis rentré dans le cabinet de Nicolas Sarkozy. Je suis alors devenu l’organisateur des activités du Président; tu gères son agenda en étant dans la conception de ce que tu lui proposes, en mettant l’accent sur des choses à faire ou à éviter. Tu es celui qui règle son temps, ses journées et toutes les activités extérieures. Tu es également celui qui sollicite les uns et distribue le travail.

Cela veut dire que depuis 2009, vous ne vivez plus?

Il faut être organisé et l’on est aidé. Il y a quand même quarante personnes dans le cabinet. La journée commence ici  à 7h30 avec la lecture de la presse, la radio puis à 8 heures 30 chaque jour, une réunion qui calait la journée où l’on partageait les informations avec le secrétaire général, qui lui est en contact direct avec le gouvernement et la préparation des lois. Pour les déplacements, j’étais par exemple amené à me rendre en « éclaireur » en Province, on appelle cela le « précurseur ». En fait, on est dans plusieurs dimensions à la fois; celle de la journée, celle du mois, dans l’année et même l’année prochaine et ma journée s’organise pour être sur tous les fronts à la fois. Par exemple, les cérémonies du centenaires de la première guerre mondiale, en 2014 sont à préparer dès maintenant.

Vous allez transmettre les dossiers?

Comme vous le voyez, je laisse un bureau assez glabre! (Un broyeur à papier trône au milieu de la pièce). On ne sait pas encore qui va nous remplacer alors c’est un peu difficile. Reste que le personnel de l’Elysée, ce qu’on appelle les permanents-900 personnes-demeure ici pour assurer la continuation.

De quoi est fait demain pour vous?

Je retourne dans mon corps d’origine, je suis préfet chargé de la mission d’ordre public donc je vais la continuer auprès du Prefet de Police à Paris.

Qu’allez vous regretter le plus?

Etre ici c’est être au coeur de la machine de l’état. C’est un peu comme être au sommet d’une montagne, à 360 °. Ça c’est passionnant de ne pas être confiné dans un domaine. Un jour le G8, le lendemain, tu travailles sur le RSA, le surlendemain sur la tempête Xynthia.

Etre chef de campagne a représenté quoi pour vous?

C’était passionnant. Il y avait un vrai défi. Faire une campagne, c’est avant tout parler aux français, établir une connexion un peu spéciale pour qu’ils comprennent qui tu es, ce que tu proposes. En très peu de temps, il fallait construire un programme, pouvoir l’expliquer et donc se déployer, tout cela en même temps. On a fait près de soixante sorties en l’espace de deux mois et demi, cela fait presque une par jour. Il y a aussi tout ce que l’on ne voit pas, toutes ces associations qui veulent toutes savoir ce que vous allez faire pour les handicapés, pour la condition animale, pour la condition féminine. Ce qui compte c’est que le projet soit cohérent, car tu n’ as le droit qu’ à un certain nombre de coups de crayons.

Il revient alors sur ces trois débats que le Président souhaitait tellement avoir et ce sentiment que les français n’ont pas eu assez d’éléments pour choisir en toute connaissance de cause, m’expliquant comment l’équipe de Hollande a géré un capital d’être parti en tête. Et de souligner que François Hollande « va faire ce que ‘on voulait faire mais c’est lui qui va le faire ».

Quels moments forts retenez-vous de cette campagne?

Les grands rassemblements sont des moments vraiment forts; qu’il y ait tant de gens qui se déplacent, un dimanche plutôt que de rester en famille, ça c’est incroyable. Après il y a eu des moments de camaraderie intense quand tu finis au milieu de la nuit des textes, des professions de foi; C’est très collectif comme exercice. C’est vraiment un moment unique car tu essayes de bâtir un programme, de l’expliquer et après de faire cette connexion avec les français.

Et ce revirement très à droite que l’on vous a reproché?

Franchement ça ne me semble pas une réalité mais relève plutôt du roman qu’on voulut vendre les journalistes. Dans la campagne de second tour, la seule proposition supplémentaire qui a été faite était celle de faire adopter une présomption de légitime défense pour les policiers. Et là toute la presse a dit « il se droitise » tandis que le Président considérait que son devoir était de s’adresser aux électeurs de Marine Le Pen. C’est vrai que nous avons mis sur la table un certain nombre de sujets sur la table mais ce n’est pas des idées d’extrême droite. Ce sont simplement des thèmes qui sont un défi pour la société française.

Il me raconte alors comment la mondialisation a faussé tous les échanges, ces délocalisations qui se font avant même que l’on s’en rende compte mais comment avec l’Europe on peut arriver à sauver les meubles, avec ce principe qu’à plusieurs, on est plus forts. Un vrai discours politique et militant.

Etes-vous tenté par  devenir vous même un homme politique ?

Etre préfet,  c’est être dans la chaine exécutive et mettre en oeuvre les décisions du gouvernement. Le paradoxe c’est que je vais être amené à servir le gouvernement désigné par François Hollande mais je le ferai sans aucune difficulté car je suis avant tout le serviteur de l’Etat. Mais devenir moi même un homme politique, je ne me sens pas ni l’envie ni l’intérêt pour cela.

A quel moment avez vous su que c’était perdu?

Dimanche dans l’après midi, on a vu que l’écart était trop grand pour être rattrapé. On avait déjà eu les résultats le matin des Dom Tom qui étaient très mauvais, une forme de cruelle injustice car ce Président avait fait beaucoup pour ces territoires. On a vraiment senti pourtant une vraie remontée sur la fin même si on savait que ce serait très difficile avec cette pulsion quasi instinctive de besoin d’alternance, avec tous les gouvernements sortant qui ont « payé » pour la crise.

Vous pensez que vous resterez en contact avec l’équipe de campagne?

Oui bien sûr, j’ai été marin pendant onze ans et c’était vraiment ce même esprit d’équipage. Quel que soit ton grade et ton rôle à bord, tu sais que celui qui est à la passerelle en haut compte sur celui qui est en bas aux machines, tout se tient. Tu as le même sentiment dans cette aventure relativement courte, ce que tu vis est vraiment unique. On s’est vraiment battu comme des lions et on a vraiment le sentiment de sortir de là en ayant fait au mieux. On commençait à six heures du matin par les radios et jusqu’à deux heures du matin pour préparer le lendemain.

Il conclut alors sur cette lumière qui carbonise. Cette admiration qu’il a pour les hommes politiques capables de se mobiliser en un instant devant les caméras, cette forme de drogue qui comme toutes les drogues ne l’attire pas . Il y a une vie après dit-il…laquelle est donc désormais devant lui. Alors bon vent, comme l’on dit chez les marins.

 

Par Laetitia Monsacré

 

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