22 janvier 2012
Le canard, un bon chien de garde?

Mercredi 18 janvier. Six heures vingt après avoir poussé la porte de la 17 ème chambre du Palais de Justice de Paris, , Michel Gaillard, directeur de la publication du Canard Enchaîné, sort. Il est un peu sonné, épuisé par la durée de l’audience mais il sourit, « Je suis optimiste », dit-il. Après cinq témoins et deux plaidoiries, son journal, assigné en diffamation par le groupe Bouygues le 20 décembre dernier, ressort en effet grandi de ce procès. « On a montré qu’on avait bien travaillé », s’exclame Christophe Nobili,  co-auteur, avec Hervé Liffran, de l’article paru et incriminé; daté du  7 décembre 2011, « Un Missile Judiciaire pointé sur le futur Pentagone de Sarko », qui faisait état de l’ouverture d’une information judiciaire fondée sur des soupçons de corruption concernant le chantier du futur « Pentagone français ». Bouygues,  directement mis en cause par des sources du Canard avait hurlé à la diffamation, réclamant-bagatelle- 9 millions d’euros. De quoi zigouiller le célèbre volatile…

Canard 1 – Bouygues 0

De quoi permettre à la barre, une belle rédéfinition du journalisme: « C’est notre travail de dire, il y a une information judiciaire qui a été ouverte »lance Hervé Liffran. Et son avocat de renchérir : « Le Canard parle de l’actualité judiciaire, il ne fait pas l’enquête judiciaire ». Maître Metzner, qui représente Bouygues, s’en prend, à défaut d’autre chose, à l’origine des informations publiées. Il cherche à connaître les sources des journalistes- bien sûr libres de ne pas  les révéler;  au fur et à mesure que les témoins s’enchaînent à la barre, la crédibilité de Bouygues s’effrite, celle du Canard s’étoffe. Devant la présidente, Me Metzner cherche la petite bête, tourne en rond face aux journalistes du Canard qui informent volontiers la Cour des circonstances de leur enquête : elle a duré 15 jours, une dizaine de sources judiciaires distinctes ont été sollicitées et l’article en question a été repris, après vérification, par Reuters et l’AFP. Jugement  rendu le 14 mars prochain pour ce journal que son avocat qualifie de  » chien de garde »rappelant à la Cour le rôle indispensable d’un tel organe de presse et la nécessité de sauvegarder son indépendance.

De quoi redorer l’expression, largement dévaluée par le très efficace film de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat. Les médias selon eux? Des chiens de garde peut être mais au service du pouvoir , et de lui seul!

Satire en règle

Retour en arrière. Nous sommes le 20 avril 1963 aux alentours de 20 heures. Alain Peyrefitte, ministre de l’information, donne le coup d’envoi de la nouvelle formule du JT de la première chaîne, mise au point par… lui-même. Face à lui, le présentateur Léon Zitrone dans le rôle du figurant, écoute son ministre lui dicter la nouvelle orientation que prendra son journal. Cinquante ans après, où en est le journalisme français ?Réponse pour « Les Nouveaux Chiens de Garde » : au même point.

Adapté du livre de Serge Halimi et inspiré de l’œuvre de Paul Nizan publiée en 1932, » Les Chiens de garde », c’est tout le système médiatique français qui est épinglé ici et dont preuve est faite  avec humour et sarcasme, qu’il est loin de reposer sur les trois fameux piliers : indépendance, objectivité et pluralisme. Alors, certes le Ministre de l’information a disparu et le nombre de chaînes de télévision s’est multiplié, mais l’influence exercée sur les journalistes est toujours là. Elle a simplement pris une autre forme : moins visible, moins connue et bien minimisée d’après le film. En épluchant les parcours des Claire Chazal, Laurent Joffrin et autres « journalistes vedettes », l’équipe du film se demande comment ceux qui décryptent et relaient l’information peuvent se prétendre objectifs et indépendants, alors qu’ils ont grandi dans les mêmes quartiers que les élites politiques et économiques, qu’ils ont été éduqués dans les mêmes grandes écoles, qu’ils fréquentent les mêmes soirées et sont souvent amis. Réponse : ils ne sont ni indépendants, ni objectifs. C’est un peu comme si, dans une grande famille, le grand frère avait choisi de faire politique, le deuxième économie et le troisième journalisme…

Ménages et cie

L’un après l’autre les cas de Christine Ockrent, Nicolas Demorand, Michel Field et compagnie sont passés au crible. Pas d’approximation, pas de paroles infondées, les principaux concernés, désignés coupables de conflit d’intérêt, sont clairement identifiés. Ainsi les « ménages » comme pour Isabelle Giordano, rémunérée par de grands groupes pour animer des conférences avec en fond sonore, un des slogans de France Inter de la rentrée 2008 qui passe en boucle : « la différence c’est l’indépendance ». Même chose pour les « experts » invités à débattre de l’actualité sur les plateaux de télévision, souvent administrateurs pour des grandes entreprises françaises avec d’évidents conflits d’intérêt à la clé.

Une collusion des journalistes, illustrée d’ailleurs lors du procès du Canard avec un article publié par le journaliste Jean-Dominique Merchet sur son blog « Secret défense » niant l’implication de Bouygues dans une quelconque affaire de corruption alors « qu’ il fait des piges pour une entreprise d’intelligence économique et travaille notamment avec Bouygues sur le projet » l’a souligné l’avocat du journal. Et Pan sur le bec!

 

Par Elvire Camus

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