10 mai 2021
Lancelot de Joncières, rareté documentaire à Saint-Etienne

Après Les Barbares de Saint-Saëns, Dante de Godard et Cendrillon de Isouard, l’Opéra de Saint-Etienne poursuit l’exploration des raretés du répertoire romantique français avec le soutien du Palazetto Bru Zane. De Lancelot, opéra de Joncières créé à l’Opéra de Paris en 1900, et depuis tombé dans l’oubli comme le reste de la production de son auteur, un duo interprété par Marie Perbost et Mathias Vidal dans un concert florilège pour la réouverture de l’Opéra de Tours après la crise sanitaire, avait attisé la curiosité, laquelle peut parfois devenir un défaut quand il s’agit de monter l’ouvrage dont est tiré le morceau choisi.

Inspiré, comme l’unique opus lyrique de Chausson, Le roi Arthus, par le corpus de La Table Ronde, Lancelot porte l’empreinte évidente du wagnérisme, alors dominante à l’époque, même si la partition ne se prive pas d’un syncrétisme stylistique certain résumant les influences qui ne pouvaient manquer de nourrir tout compositeur en ces années de tournant de siècle où se fait la gestation de la modernité. Mais si la partition, défendue avec enthousiasme par Hervé Niquet à la tête de l’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire, affirme une efficacité certaine dans l’enchaînement de scènes brèves, elle n’évite guère une grandiloquence et un brillant pompier qui ne laissent de place le plus souvent qu’à une expressivité datée.

Une reconstitution soignée

On saluera néanmoins le soin apporté à cette redécouverte d’abord documentaire, tant dans la réalisation scénique que dans la distribution vocale. Pour l’aspect visuel du spectacle, le travail de Jean-Romain Vesperini privilégie une cohérence, tant dans la scénographie de Bruno de Lavenère, qui s’appuie sur un plateau rotatif donnant à l’ensemble une allure d’échiquier où les passions feront mat, que dans les costumes, plaçant la légende médiévale dans une esthétique contemporaine de la création de l’ouvrage – même si d’aucuns verraient plus d’Art Déco que d’Art Nouveau. La lisibilité de cette illustration se veut d’abord un écrin pour la musique, et ne la parasite pas par quelque exploration autre que la lettre du livret.

Dans le rôle-titre, Thomas Bettinger se distingue par un engagement conjuguant vaillance et intensité du sentiment, face à la Guinièvre au timbre corsé d’Anaïk Morel, propice à un bel investissement dramatique. Du roi Arthus, Tomasz Kumiega, seul allophone du cast, sans que cela ne porte dommage à la qualité générale de la déclamation sur la plateau, ne néglige pas les tourments, dans une appréciable consistance de l’incarnation. Frédéric Caton impose un Alain de Dinan robuste, tandis que Philippe Estèphe souligne, sans avoir besoin de caricature, la noirceur de l’âme de Markhoël. Olivia Deray n’oublie pas d’accorder le lyrisme à Elaine, et Camille Tresmontant s’acquitte avec sincérité des interventions du fidèle Kadio. Préparés par Laurent Touche, les choeurs complètent efficacement, avec les ballets, cette fresque ramassée en à peine plus de deux heures. On ne gagne pas à tous les coups au jeu de la redécouverte d’opus oubliés, mais la constance de l’Opéra de Saint-Etienne ne peut qu’être saluée, sinon susciter le respect.

Par Gilles Charlassier

Lancelot, Opéra de Saint-Etienne, du 6 au 10 mai 2022

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