2 janvier 2019

 

Les fêtes de fin d’année se conjuguent généralement avec des spectacles hauts en couleurs. Berlin n’y fait pas exception. Si, en début de mois, la Deutsche Oper devait avoir Roberto Alagna à l’affiche de sa reprise de l’Andrea Chénier de Giordano réglé par John Dew, ce sera finalement Martin Muehle qui endossera le rôle du poète guillotiné par la Terreur, avec un lyrisme vaillant et convaincant, aux côtés de la Madeleine de Coigny intense de Maria José Siri, et du Gérard robuste de Roman Burdenko. Sous la direction attentive de Giampaolo Bisanti, la mise en scène, qui a plus de vingt ans, ne manque pas de couleurs dans le pastiche dix-huitième, au château de la Comtesse de Coigny, sur un plateau renversé par les révolutionnaires. L’efficacité dramatique prendra alors le relais, dans cette évocation historique marquée par le Romantisme.

Les circonstances font coïncider le passage de feu-le-Mur avec le basculement dans la parodie. Sous la houlette du directeur de la maison, Barrie Kosky, dont on avait applaudi La Flûte enchantée façon cinéma muet quand elle avait fait escale à l’Opéra Comique, l’opérette viennoise d’Oscar Straus, Les Perles de Cléopâtre, prend des allures – bien opportunes – de cabaret berlinois. Avec la complicité des décors de Rufus Didwiszus et des costumes bigarrés, dessinés par Victoria Behr, le spectacle tire parti de toutes les ressources de la salle et plonge les aventures de la célèbre reine d’Egypte dans une esthétique années vingt aussi anachronique que drôle, sans craindre le mauvais goût de la bouffonnerie.

De l’Egypte à Londres

Les résultats des recherches archéologiques sont habilement détournés jusqu’à l’outrance comique, à l’exemple du maquillage du chambellan Pampylos, confié au robuste et très courtisan Stefan Sevenich, tandis que Dominik Köninger campe un Silvius caricaturant l’image du général romain, bellâtre au cerveau malléable. On retrouve cette gourmandise dans l’humour dans les adaptations pour effectif jazzy des ballets d’Aïda. Si la direction d’Adam Benzwi met en valeur l’intarissable verve mélodique de la partition, c’est d’abord l’incarnation de Dagmar Manzel, virtuose dans les changements de registres vocaux et les imprévisibles sautes d’humeur, qui fait tout le sel de la soirée, avec son inamovible peluche de compagnie ventriloque, Ingeborg. Au-delà d’une intrigue parfois prolixe, c’est un savoureux moment de délire pastiche narguant les statues historiques consacrées, que l’on exporterait volontiers, si l’on ne craignait qu’il ne fût trop berlinois.

Cap enfin à l’ouest, dans l’ancienne capitale de la RFA, la désormais bien tranquille Bonn, qui a gardé la mémoire de Beethoven, qui y est né un jour de 1770. Mais c’est de Karl Marx qu’il est question dans Marx in London, le nouvel opus commandé à Jonathan Dove, qui a fait récemment tourné son opéra participatif, Le Monstre du labyrinthe. Ecrite sur un livret de Charles Hart, qui lui-même s’appuie sur un scénario de Jürgen R. Weber, l’ouvrage fait revivre une journée de l’auteur du Capital, émigré dans la capitale britannique. Avec un savoir-faire qui n’hésite pas à recourir aux recettes de la comédie musicale, le compositeur livre une pièce riche en situations et en invention, porté par la mise en scène efficace du scénariste et des interprètes investis. On retiendra le solide Mark Morouse dans le rôle-titre, quand Engels incombe au non moins honnête Johannes Mertes. La Jenny Yannick-Muriel Noah assure la touche sentimentale avec le Freddy de Christian Georg. Marie Heeschen et Ceri Williams, Tussy et Helene, complètent l’entourage du philosophe. Sous la houlette de David Parry, l’ensemble défend une heureuse synthèse entre divertissement et création contemporaine, qui n’effraie pas les anglo-saxons. A l’heure des fêtes, l’Europe continentale aurait tort de la bouder.

Par Gilles Charlassier

Andrea Chénier, Deustche Oper Berlin, Les Perles de Cléopâtre, Komische Oper, Berlin, Marx in London, Bonn, décembre 2018

Articles similaires