20 mai 2012
La tornade insatiable

Son maitre mot  « Ne pas attendre ». Stéphanie Bataille dit se battre quotidiennement pour cela. Celle qui vous reçoit dans ce minuscule bureau parvenant difficilement à contenir son énergie, ici employée comme directrice du Théâtre Antoine, le coupe- papier à la main pour ouvrir son courrier pendant qu’elle vous parle, est de ces voraces avec la vie, qui veulent tout, tout de suite. L’interviewer, c’est être comme à une finale de Roland Garros, la balle qui arrive et qu’il s’agit de renvoyer au plus vite. Et qui, comme pour tous les bons joueurs, vous aide à l’être aussi. Il est en effet beaucoup question de générosité chez cette brune qui ne pourrait se passer de la scène, de ce contact direct avec le public. Pas étonnant qu’elle y soit si bonne,  l’occupant souvent seule, capable de jouer tous les personnages et de remplir l’espace comme devait le faire Peggy Guggenheim- cette milliardaire excentrique aux « mille amants et autant de bébés-ses tableaux », à laquelle elle prête actuellement sa gouaille distinguée.

 

Pourquoi Peggy Guggenheim?

Car c’est défendre une femme exceptionnelle qui est très proche de moi au niveau de son engagement. Elle ne lâchait rien- son  parcours de vie est incroyable; elle aurait pu se dire « j’ ai de l’ argent « mais non, elle se donna entièrement à ses tableaux, fut sans limite, cash, sans jamais être vulgaire. Elle dessinait ses lunettes, ses chaussures, c’est tout ce que j’aime! Bien sûr, elle n’ était pas facile à vivre tous les jours, mais,  on ne peut pas être une chique molle pour sortir Marx Ernst, son mari, des camps de concentrations où les nazis lui ont dit « vous êtes juive » et à qui elle a répondu « non,  je suis américaine! ». Il faut le faire, non? Elle s’est battue, a fait faire des faux papiers… Quant à sa collection, elle était sans limite , elle aimait ce qu’elle achetait, il n ‘y avait pas de triche. Aujourd’hui en art comme en théâtre, vous mettez quatre artistes ensemble avec, le plus souvent, même pas de texte; tout le monde a peur de se mouiller, c’est un culte de la non vie. On va se perdre à ce rythme là. A un moment donné cette politique de « monte là- dessus tu verras Montmartre », ça vous fait un petit fond de salle au début mais ça ne vous fera pas une saison.

 

Vous pensez à cette vogue des acteurs « bankable » au théâtre?

Oui, mais ça ne marche pas. Au début oui, mais les gens ne sont pas idiots. Le problème aujourd’hui c’est que les décideurs pensent pour les autres. Les gens en ont marre de payer 100 euros à deux, se faire retirer leur bagnole car Paris est ingarable, tout ça pour une mauvaise pièce. Au final, ce sera leur sortie de l’année. J’ai beaucoup de respect pour le spectateur qui a payé, mais on est aujourd’hui dans la perte de sens.

Le téléphone sonne, elle répond en griffonnant sur une feuille, parlant à son interlocuteur comme un mitraillette.

Je pense qu’il y en a encore quelque part, et que cela reviendra, j’en suis convaincue. C’est comme pour la nourriture; le respect va revenir, on va s’arrêter de manger des fraises en novembre, il faut refaire un vraie éducation; on nous parle de Noël en septembre, ce 8 mai personne ne savait ce qu’on a fêté, l’armistice plus personne ne sait ce que c’est, la Bastille non plus! Moi,  je suis férue d’histoire; je pense que expliquer, c’est une façon de résister à la connerie.

Qu’est ce qui fait la réussite d’une pièce?

Le texte. Le texte et des comédiens engagés. Il y a aujourd’hui des auteurs, mais on va trop vers la facilité. Les gens ont besoin qu’on leur raconte une histoire. Collaboration, Diplomatie, ces deux pièces ont fait la saison dernière des vrais cartons grâce à cela. Le public a envie que ça le travaille dans sa tête en sortant de la salle.

Comment se monte une pièce comme Peggy?

La productrice des Monologue du vagin que j’ai joué aux Etats-Unis avec Jane Fonda- au passage d’un professionnalisme comme je n’en ai jamais rencontré-a vu la pièce à Broadway qui a été un gros succès pendant 7 ans, a acheté les droits pour moi.

Elle me raconte alors comment elle est tombée entre temps amoureuse d’un écrivain pervers narcissique (un pléonasme…) et qu’elle en a tiré un livre qui va être adapté au cinéma. Puis que Jean-Pierre Dumontet ayant acheté le Théâtre Antoine avec Laurent Ruquier lui a demandé de s’en occuper.

Je trouve que c’est important d’avoir un pied dans la place, être là à s’occuper des comédiens-ils m’appelent maman-dire très souvent oui, mais savoir aussi dire non. C’est bien d’avoir les « manettes ». Ruquier choisit les pièces et moi je m’occupe de tout après. Mais la scène m’est indispensable, des costumes à tous les détails. Pour monter la pièce au Petit Montparnasse j’ai dû tanner sa directrice Myriam de Colombi pendant des mois et des mois jusqu’à ce qu’elle voit le DVD. Vous savez, rien ne tombe du ciel, même connu c’est très long d’avoir une réponse!

Comment faites-vous pour faire tout cela ?

Quoi qu’il arrive, je pars tous les jours à 17 heures (elle joue à 19 heures). Puis je reviens ici pour lancer la pièce-en ce moment Harold et Maud avec Line Renaud- et je rentre environ vers deux heures du matin.

Et votre parcours?

J’ai eu mon bac très jeune puis j’ai fait des études d’art en même temps que le Cours Florent. Lorsque mes parents ont appris que je voulais être comédienne, ils  m’ont alors très gentiment dit de partir…Et comme, je trouve que dans la vie, il n’y a que la beauté et le luxe, je suis allée chez Hermès travailler comme vendeuse le samedi, devenant vite une des meilleures pour les carrés de soie! Je mettais l’ ambiance aussi. Là, j’ai rencontré des artisans merveilleux comme ces mauriciennes qui roulotaient les foulards. J’ai travaillé aussi avec un antiquaire , avec Jean Michel Ribes au théâtre, dans une série TV- je vous le fais en vrac! J’ai ensuite créé un one woman show sur les maitresses et monté une société de conciergerie « Stéphanie Bataille pour vous ».

 

Quatre petites heures. Bien sûr les nuits de cette boulimique sont courtes. Déjà doit-elle songer à la suite, même si elle dit vouloir  faire un bon bout de chemin avec Peggy. A n’en pas douter, ces deux-là sont en effet l’une avec l’autre, en bonne compagnie…

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

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