9 février 2013
La Rose Blanche dans l’antichambre de la mort


Une pluie de tracts sur les spectateurs, voilà comment l’on est immergé dans l’atmosphère de ces noires années de l’Allemagne nazie qu’ont essayé de combattre les mouvements clandestins de Résistance. La Rose Blanche, initiée par Sophie et Hans Scholl, étudiants à l’Université de Munich, est l’un d’eux. Reprenant en titre ce mystérieux nom de ralliement, Udo Zimmermann a composé un opéra où il relate les dernières heures des deux jeunes gens dans la prison de Munich-Stadelheim. La version de chambre d’à peine une heure que nous fait découvrir l’Opéra de Nantes est une réécriture que le compositeur a réalisée en 1986 et qui s’est imposée au répertoire, se substituant à la mouture originale pour orchestre, plus longue et semble-t-il plus didactique, définitivement écartée.

Car ce qui frappe dans cet huis clos, c’est la force poétique de deux destins communs réduits à leur solitude ultime – à aucun moment nous n’entendrons de dialogue, sinon quelques rares passages où les deux condamnés à mort chantent les mêmes paroles en homophonie, écho d’une cellule à l’autre de la même rébellion pacifique face au néant et au fanatisme politique. Si certaines déflagrations trahissent la violence ambiante du nazisme, les thèmes récurrents surprennent par une délicatesse mélodique et leur tendresse mélancolique presque plaintive. Dans l’antichambre de la mort, la folie du monde n’arrive qu’assourdie, étouffée, et ne reste que l’humaine vulnérabilité.

Une mise en scène discrète et émouvante

Dans cette production importée de La Chaux-de-Fonds, au cœur de la Suisse Romande, Stephan Grögler réussit à restituer la bouleversante poésie de ces dernières heures, sans chercher à reconstituer un fil logique et narratif que refuse l’œuvre elle-même. Surtout, le metteur en scène français, d’autant plus sensible à cette période de l’Histoire peut-être par ses ascendances autrichiennes, évite d’alourdir le propos, tentation aussi grande que celle de l’enseignement moral. Deux chaises, un mur aux couleurs mouvantes, ainsi se résume le corridor où les deux gens ressassent leurs espoirs, leurs doutes, et leur soif de liberté pour un monde qui en était tant privé à cette heure. On entre immédiatement dans cette succession de seize tableaux, dont l’identité musicale propre se trouve discrètement rehaussée par les ruptures d’éclairages, faisant de ces petites scènes comme autant de vignettes, un peu à la façon des vitraux ou des fresques qui condensent en nos églises les épisodes clefs de l’Histoire Sainte. Au fond, le sacrifice de ces deux jeunes gens a quelque chose de religieux.

Elisabeth Bailey et Armando Noguera émeuvent sincèrement dans leurs incarnations de Sophie et Hans, d’autant plus efficacement que la fosse soutient sans jamais le recouvrir leur allemand aussi expressif qu’intelligible. C’est l’une des forces de ce format de chambre, que sert avec beaucoup de sincérité le Nouvel Ensemble Contemporain LE NEC, formation suisse qui fête ses vingt ans et que conduit avec finesse Nicolas Farine. Comme en témoignent les échanges au cours de la rencontre du chef et du metteur en scène avec le public à l’issue du spectacle, la musique dite contemporaine sait aussi toucher – et avec pareils passeurs, la cible ne saurait être manquée. Cette production aussi belle qu’originale rappelle si besoin était la qualité de la programmation de l’Opéra bicéphale Nantes-Angers.

GC

La Rose Blanche, à Grand-Théâtre d’Angers les 29 et 30 janvier et au Théâtre Graslin à Nantes, du 5 au 10 février 2013

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