19 août 2013
La Roque d’Anthéron ou le piano en famille

Célébré depuis plus de trente ans comme une Mecque du piano, le festival de la Roque d’Anthéron n’a pas longtemps réservé son appétit au seul clavier à cordes frappées. Dès 1983, René Martin a fait venir des formations orchestrales dans le parc du château de Florans.  Au fil de l’enrichissement de la programmation, les Nuits du piano, format désormais très en vogue, se sont affirmées comme de – longues – soirées thématiques permettant de réunir, à la façon de retrouvailles familiales, des artistes dispersés par leurs carrières internationales.

Par-delà le bon et le mauvais goût

Ainsi celle-ci associait, sous le signe de la musique française, le roi de La Roque au Sinfonia Varsovia, dirigé par Jean-Jacques Kantorow. C’est d’abord Vincent d’Indy qui est mis à l’honneur, avec son Concerto pour flûte, piano et violoncelle, un pur exemple de son style éclectique. Si ce pastiche des concerti grossi baroques peut faire sourire, au moins les solistes prennent-ils un plaisir évident à jouer cette musique – entre autres la flûtiste Juliette Hurel et le Henri Demarquette au violoncelle. Autrement plus connue –  et aboutie –  est sa Symphonie cévenole,  mélange de citations de chants auvergnats et allusions au grand répertoire – wagnérien en particulier. Passablement effacé dans le Concerto, le piano de Philippe Giusiano affirme ici une sensibilité convaincante. On passe ensuite à Saint-Saëns et son Second Concerto pour piano. Derrière ses lunettes rondes et sa mine sévère, Pierre-Alain Volondat, invité déjà par René Martin en 1984 alors qu’il venait de remporter le concours Reine Elisabeth, est un irrésistible cabotin et livre une interprétation survoltée. Si le premier mouvement reste sage, les choses s’accélèrent avec l’Allegro scherzando et le Presto final est mené à un train d’enfer qui ne laisse aucun répit à l’orchestre, qui n’a jamais autant mieux sonné que dans cette précipitation. Bien sûr, le bon goût se sentira malmené par l’abus de la pédale, et plus encore sans doute par les intempestifs coups de talons. Nulle faute de style pourtant dans cette virtuosité débridée et assumée à laquelle on avoue avoir succombé. Le public aussi, qui n’a que faire des canons esthétiques, le confirme avec une belle spontanéité.

Le violoncelle à l’honneur

Le piano n’étant décidément plus monarque absolu à La Roque, le lendemain  réserva une soirée carte blanche à l’école française avec des anciens élèves du violoncelliste Philippe Muller et du pianiste Christian Ivaldi, également sur scène. Des trois concerts au contenu passablement décousu – un mouvement par ci, un extrait par là, avec quelques œuvres au complet, réunis au seul bénéfice d’une rotation des interprètes – on retiendra d’abord l’intériorité d’Emmanuelle Bertrand dans la Première Sonate opus 38 de Brahms. Se détachant de l’accompagnement de Marie-Josèphe Jude, son archet économe et habité dévoile une pudeur et une profondeur captivantes.  Aux côtés de Frank Braley, Yan Levionnois, jeune violoncelliste de 23 ans, démontre une semblable sobriété dans la Sonate en ut majeur opus 65 de Britten. Révélation des Victoire de la Révélation soliste instrumental 2013, Edgar Moreau affirme beaucoup (trop peut-être ?) de sentiment dans Le Cygne du Carnaval des animaux. Curiosité avec la Quatuor pour quatre violoncelles de Bréval, compositeur à cheval entre le siècle des Lumières et les débuts du Romantisme. Mentionnons encore l’excellent François-Frédéric Guy, avec Xavier Philips, dans la Cinquième Sonate de Beethoven, ou encore le Méphistophélès extrait de la Faust-Symphonie, dans la version que Liszt a lui-même écrite pour deux pianos. Minuit et demi, ce long cocktail musical s’achève. Le chant des cigales et le murmure des platanes ont fait place aux voitures avant le silence de la lune : chaque année le festival se diversifie, mais les rituels de La Roque restent, eux, immuables depuis maintenant trente-trois ans.

GC

Festival de La Roque d’Anthéron, du 20 juillet au 20 août 2013

http://www.festival-piano.com/

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