26 mars 2014

Dans ma jeunesse, j’ai entendu ce proverbe italien « Al padrone non far sapere quanto è buono il formaggio con le pere. »

Traduction : « Ne dis pas au patron combien le fromage est bon avec les poires. »

D’où venait-il ce proverbe? Quel grand-père ou grand-mère l’avait rapporté dans ses maigres bagages en quittant le centre de l’Italie pour la Lorraine ? Je ne sais. Les mots importaient moins, me semble-t-il, que la fierté qu’on mettait à le dire ce proverbe. C’était obscur pour moi. Je ressentais seulement la supériorité de classe. La classe des pauvres était plus maligne que la classe des dominants. Elle détenait un secret qu’il fallait garder jalousement. Les nantis avaient déjà tout pour eux. On n’allait pas, en plus, leur révéler une richesse culinaire qui pourtant aurait dû leur exploser en bouche. Mais, ces riches étaient tellement préoccupés d’eux-mêmes qu’ils en devenaient aveugles et « agueusiques. »

Chut !… Continuons de déguster, à l’abri de tout regard, notre morceau de parmigiano ou pecorino et notre quartier de pera .

Et le temps passa. Un jour, je tombai par hasard sur un article d’Alban Gautier reprenant une étude de Massimo Montanari, historien italien, spécialiste de l’alimentation.

    Entre la poire et le fromage, ou Comment un proverbe peut raconter l’histoire.

Il me fallut réviser mes schémas manichéens. Encore un ! Le proverbe initial était : « Al contadino non far sapere quanto è buono il formaggio con le pere. »

Traduction : « Ne dis pas au paysan combien le fromage est bon avec les poires. »

Et l’auteur de l’article d’expliquer : « Partager ce savoir avec l’élite sans le transmettre à la paysannerie permet aux premiers de rester les seuls véritables connaisseurs, les uniques maîtres du bon goût. (…) Donner ce savoir aux paysans, c’est courir le risque de le voir mal se conduire, l’utiliser à mauvais escient et pour satisfaire sans modération des instincts foncièrement bas : un autre proverbe rappelle en effet que, s’il ne se contrôle pas, « le paysan vendra le domaine pour manger fromage, pain et poire. »

            Voici la conclusion d’Alban Gautier : « C’est seulement à partir du XVIIe siècle que le petit peuple s’est approprié certains de ces proverbes, au point de les retourner. L’auteur cite pour conclure son propos une version « complétée » et plus tardive du même proverbe : Al contadino non far sapere/ Quanto è buono il formaggio con le pere./ Ma il contadino, che non era coglione,/ Lo sapeva prima del padrone. »

Sur la porte qui donne dans ma cuisine, j’ai écrit à la craie blanche cette dernière traduction :

« Ne dis pas au paysan combien le fromage est bon avec les poires.

Mais le paysan, qui n’était pas couillon, le savait avant le patron. »

 

… J’aurais pu aussi écrire Henri Michaux à la craie blanche:

« Dans un pays sans eau, que faire de la soif ?

De la fierté. »

Par Mireille Poulain Giorgi

Par Mireille Poulain Giorgi

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