Qui mieux que Denis Lavant pouvait interpréter un personnage au bout du chemin, confit de colère qu’une trop longue solitude a transformé en haine ? Pendant presque deux heures Denis Lavant arpente les planches du Théâtre de l’Oeuvre dans les habits de Céline. La pièce est inspirée de ses dernières correspondances, où isolé à Meudon depuis de nombreuses années, l’écrivain revient sur ses œuvres et leur réception, dressant au passage un tableau de la littérature du XXème siècle sous la forme d’un réquisitoire.
Ce testament s’ouvre sur une scène plongée dans le noir. On entend alors le comédien se trainer jusqu’au piano pour y jouer quelques notes. La lumière revient. La tête baissée, angoissé dans son pardessus informe, le comédien est penché sur son piano. Le reste de la pièce ne sera plus que musique.
Epoustouflant Denis Lavant
Car c’est bien l’ambition de Denis Lavant et d’Emile Brami, responsable de l’adaptation de la pièce et grand connaisseur de l’œuvre de Céline : témoigner de la langue musicale de Céline. Lui même n’est pas aveugle devant son talent, voire son génie, car il sait que sa manière « d’écrire comme on parle » est fondamentalement nouvelle. Sa correspondance l’atteste, tant on se plait à le suivre dans ses digressions infinies contre, pèle-mêle, James Joyce, Jean-Paul Sartre, les écrivains ou encore les éditeurs.
Tantôt hagard, épuisé, tantôt éructant de colère, Denis Lavant est particulièrement à l’aise pour faire ressentir cette musicalité. Le comédien fait particulièrement bien raisonner la poésie horrible de l’auteur si controversé, autant par sa diction vociférante que par le rythme qu’il met dans tous ses déplacements. Le comédien danseur n’en oublie pas non plus l’humour, qui imprègne notamment les pages de Voyage au bout de la nuit. Rares sont les comédiens qui auraient réussi à faire rire une salle par ses excès, tout en traitant des facettes sombres de l’écrivain. Denis Lavant se révèle encore une fois particulièrement à l’aise face à l’ambiguïté de ce personnage, ce poète monstrueux.
Par Florent Detroy