16 août 2013
Le Paradis ou l’Enfer?

« Trois ou quatre personnes qui m’aiment et qui m’enterrent ». Voilà un des dernier voeux de celui qui défendit l’indéfendable avec cette idée qui guida sa vie entière: tout homme mérite un procès juste. Sinon à quoi le droit servirait-il? Jacques Vergès est mort. Il avait 88 ans, un âge honorable pour quitter la scène. La sienne était dans les Cours d’Assises, plaidant pour ceux qui avaient un jour ôté la vie. Des innocents pour certains comme Omar Raddad dont il semble évident pour beaucoup que le pauvre homme fut victime d’une erreur judiciaire comme l’a démontré le film de Roschdy Zem ou des terroristes comme Carlos avec cette idée que celui qui pose des bombes est aussi une victime-souvenir de l’engagement de Vergès auprès du FLN pendant la guerre d’Algérie en défendant une « poseuse » de bombe, Djamila Bouhired, qu’il épousa par la suite.  A voir les deux formidables films sortis cette année, Shadow dancer et L’attentat de Ziad Doueiri qui revenaient chacun à leur façon sur le pourquoi de l’engagement de gens comme des autres auprès de l’IRA ou du Hezbollah, on ne peut que saluer cette volonté ferme et politically incorrect qui poussa ce fils d’une institutrice vietnamienne et d’un père réunionnais, consul de France en Indochine-à l’époque les colonisés devaient s’écarter de la route pour laisser passer un homme blanc-à se passionner pour la cause de ceux qu’on aurait volontiers conduits directement à l’échafaud.

De Barbie à Pol Pot en passant par Mao

Klaus Barbie fut sans doute un des plus célèbres, fonctionnaire zélé qui n’aurait fait qu’obéir aux ordres ce que les services secrets américains avaient sans aucun scrupule accrédité en l’employant  après guerre et en le protégeant alors qu’il était recherché par la France, arguant un désir de vengeance de la part du peuple français. Le « boucher de Lyon »- torture et mort de milliers de résistants dont Jean Moulin, envoi vers les camps de la mort de Juifs comme les enfants d’Izieu ou de ce dernier convoi le 11 août soit après le débarquement des alliés et en pleine déroute allemande aura ainsi eu droit avant son procès en 1987, soit presque quarante ans après la demande d’extradition de la France, à une seconde carrière où il tortura à nouveau pour le compte des juntes militaires boliviennes. C’est cet homme que Jacques Vergès, qui fut également proche de Pol Pot, le dictateur chef des Khmers rouges, auteur du génocide cambodgien -1,7 millions de morts ou de Mao, pas trop net non plus entre La Grande famine- 40 millions de morts  et sa Révolution Culturelle-4 millions de morts, 100 millions de victimes morales, accepta de défendre dans un procès fleuve de sept semaines où Barbie fut condamné à la perpétuité. Plus qu’un plaidoyer impossible en faveur du criminel nazi, Vergès aura à coeur- cet organe qui lui a fait défaut ce jeudi 15 aôut et dont il disait« je lui obéis, le reste je m’en fous »– de mettre la France sur le banc des accusés, démontrant que chacun peut être le « nazi » de l’autre, en l’occurrence  la France colonialiste envers ses anciennes colonies. 

De Cannes à la scène théâtrale

L’Avocat de la terreur, comme l’avait justement nommé Barbet Schroeder dans son documentaire tout en ombres et lumières sélectionné au Festival de Cannes en 2007 était assurément un homme de paradoxe. Secret, véritable personnage de roman avec un cigare vissé à sa main, il avait disparu huit ans durant; usant des médias comme nul autre, brillant orateur, il avait changé de scène, choisissant après le prétoire de se produire au Théâtre de la Madeleine où en 2008, il joua seul en scène Serial Plaideur, long monologue où il se représentait dans son bureau, face au public. L’occasion de revenir pendant plus d’une heure sur son expérience de défenseur envers et contre tous, n’excusant pas, mais remettant les faits et les hommes dans leur contexte à travers trois exemples concrets: Antigone, Jeanne D’Arc, et Julien Sorel- trois anticonformistes en lutte contre la société. L’écriture était superbe, rappelant la culture et la grande intelligence de cet homme qui doit être déjà à argumenter là-haut pour son accès au paradis… ou en enfer.

Par Laetitia Monsacré

Revoir un extrait de la pièce de théâtre Serial Plaideurcliquez ici

Articles similaires