9 juin 2018
La Nonne sanglante ressuscitée à l’Opéra Comique

 

Le bicentenaire Gounod offre l’heureuse opportunité de redécouvrir la production du compositeur française, au-delà des incontournables Faust ou Roméo et Juliette. Ainsi en est-il de cette Nonne sanglante, mythique et pourtant oubliée rapidement après la création à l’Opéra de Paris, le directeur ayant voulu se débarrasser d’une commande passée par son prédécesseur – les époques changent, les pratiques demeurent…
Mythique, l’oeuvre l’était en partie de part son sujet, tiré d’un roman gothique à la mode dans le Paris romantique et que Berlioz a songé à mettre en musique, avant de renoncer. On est au Moyen-Âge, en Bohème. Les Moldaw et les Luddorf se font la guerre, et pour réconcilier les camps, on offre Agnès, la fille des premiers, à l’aîné des seconds, Théobald, alors qu’elle est l’amante secrète du cadet, Rodolphe. Pour fuir, ce dernier lui proposera de se déguiser comme le fantôme de la Nonne Sanglante, qui dit-on revient hanter les parages de la cité. Sauf, qu’à l’heure dite, le spectre voilé sera bien celui de la Nonne, avec lequel Rodolphe se trouvera engagé, jusqu’à ce qu’il la venge en tuant son meurtrier. Mort et bondieuseries font bon ménage dans cette histoire qui mêle, selon le parfum de l’époque, les sentiments et la raison politique, dans une alchimie dont le librettiste, Scribe, secondé par Delavigne, est alors l’un des maîtres incontestés.

La musique et les voix d’abord

Toute en noir, accentué par les lumières de pénombre de Stéphane Babi Aubert, la mise en scène de David Bobbée se montre assez fidèle à l’oeuvre, avec des costumes qui modernisent habilement les armures – certains trouveront qu’Alain Blanchot sollicite un peu trop le cuir, mais c’est aussi une matière résistante pour les combats. La vidéo de José Gherrak se contente généralement de motifs abstraits ondulants en fond de scène, tandis que les éléments de décors jouent de praticables et de néons. L’esprit de notre temps se devinera sans doute dans le ballet, et sa musique de valse qui appellerait davantage fouettés, pointes et jetés décoratifs plutôt qu’une reconstitution du cauchemar de Rodolphe au milieu des noces de Fritz, avec en guise de jeunes filles, quelques bécots pour tous en fond de scène.
Mais l’essentiel est dans la musique, la raison de l’impatience des mélomanes. La partition est bien ficelée, tout à fait dans l’esprit de l’époque, où domine Meyerbeer, avec un zeste de Beethoven dans une inspiration parfois digne de Weber, qui fait aussi penser à Halévy – en particulier dans certains finales. Cet éclectisme réserve de beaux airs, comme la ballade du page Arthur, incarné avec une fraîcheur gourmande par Jodie Devos, ou encore les duos des deux amants, l’Agnès lyrique de Vannina Santoni, et le remarquable Rodolphe de Michael Spyres, d’une maîtrise confondante, tant dans la finesse et la justesse de style, que dans la vaillance d’un rôle écrasant. L’un des meilleurs ténors du moment dans le répertoire français est américain et possède une diction exemplaire, comme l’ensemble du plateau.
Marion Lebègue fait une Nonne aux yeux révulsés et habitée par la tombe. Les deux patriarches, Jérôme Boutillier, en Luddorf, et Luc Bertin-Heugault, Moldaw, ne manquent pas de l’autorité attendue, quand Jean Teitgen réserve un ermite au legato généreux, idéal pour ce rôle de religieux pacificateur. Mentionnons encore Enguerrand de Hys et Anna, Fritz et Anna, ainsi que le Choeur accentus, sculpté sous la houlette de Christophe Grapperon. Dans la fosse sonore de Favart, Laurence Equilbey ne ménage pas la vitalité dramatique d’Insula orchestra, quitte à attendre quelques réglages dans un projet discographique que le Palazetto Bru Zane soutiendra, on l’espère, dans la continuité de l’événement de la sixième édition de son festival parisien.

Par Gilles Charlassier

La Nonne sanglante, de Gounod, à l’Opéra Comique jusqu’14 juin 2018

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