29 août 2015
La musique était au vert, avant la rentrée…

st benoit du sault
Plages et vagues ne sauraient confisquer l’horizon des vacances d’été, et nombreux sont ceux qui ont préféré se mettre au vert. On ne leur donnera pas tort, et la culture non plus, investissant régions et villages les plus pittoresques, où musique se conjugue au patrimoine et à la gastronomie.

Eva Ganizate, marraine de talents

C’est le cas par exemple de Saint-Benoît-du Sault, aux confins du Berry et du val de Creuse, promontoire avec ses rues aux allures de méandres médiévaux considéré comme l’un des plus beaux villages de France.  Le voilà devenu le lieu du festival Eva Ganizate, créé l’an dernier en mémoire de la soprano fauchée en Bourgogne par une voiture le jour de ses 28 ans, dans ce village où a retenti les premiers accents de sa voix palpitante de vie et où elle est inhumée; une deuxième édition qui se confirme comme un creuset pour les jeunes talents – et pas seulement dans le registre lyrique.
Au fil de près d’une semaine de concerts dans l’église pure et dépouillée de la bourgade, comme dans les communes voisines, on a retrouvé l’Académie de l’Opéra Comique et quatre de ses solistes puisés dans les trois crus de 2012 à 2014 – Eléonore Pancrazi, Valentine Martinez, Vianney Guyonnet et Ronan Debois –  avec un programme resserré et intimiste autour du répertoire français, mêlant grands classiques tels la Séguedille ou le Toast d’Escamillo tirés de Carmen à des raretés souvent oubliés – à tort. L’on passe ainsi de l’inspiration alerte de l’opérette Cyprien ôte ta main de là de Messager, avec le duo des chiens ou celui entre Mouillevert et Chalourdin, à la touchante Mort de Don Quichotte d’Ibert ou La Chanson du pêcheur de Félicien David. La voix était encore à l’honneur le mercredi 22 juillet dans un récital placé sous le signe des grands airs du bel canto, accompagné également par la subtile et intuitive Magali Albertini.
En  soirée d’ouverture, la remarquable « Schubertiade » dans laquelle résonne une Truite avec un quintette emmené par le violon aérien d’Elina Buksha et le piano intense de Nathanaël Gouin, tandis que le florilège de lieder en seconde partie démontre la richesse du timbre de Sarah Laulan ou l’intelligence admirable d’Ivan Geissler. Mentionnons encore l’après-midi à quatre mains en compagnie de David Bismuth et Julien Liebeer, la venue de Jean-Claude Pennetier et la clôture avec un Orphée aux Enfers réunissant des talents issus de la Guidhall et de l’Académie de l’Opéra Comique, réglé par Pierre Espiau. Excellence et convivialité se donnent la main au festival Eva Ganizate, qui s’affirme comme un rendez-vous à retenir dans la cartographie estivale.

Bach au cœur de l’Auvergne

Suivons la route plein est pour arriver à Pontaumur, sur le chemin de Clermont-Ferrand et du week-end du 15 août, où Jean-Marc Thallier n’a pas eu peur de la modestie de la contrée pour y créer un festival Bach, au cœur des Combrailles, et a poussé sa passion jusqu’à faire construire pour l’église la réplique exacte – la seule en Europe – de l’orgue de la Bachkirsche d’Arnstadt. Reprenant le flambeau de fondateur depuis une décennie, Patrick Ayrton emmène le festival pour un quinzième anniversaire où l’ombre du grand Jean-Sébastien se décline sous des formes parfois surprenantes sur ce petit coin d’Auvergne dont les amateurs se transmettent désormais l’adresse, à l’image de la soirée « Ca-bach-ret » vendredi 14 où les musiciens de BrinZig se mettent sur les pas de Django Reinhardt et Stéphane Grapelli, qui avaient livré une version jazz du Double concerto pour violon en ré mineur, dont on entend ici une variante, et mettent des épices tziganes sur et à côté des partitions de Bach, invitant le public – aussi nombreux qu’un peu timide – de la Halle aux sports à joindre la danse à l’oreille au fil d’une soirée qui se prolonge jusque vers minuit.
Rendez-vous incontournables de cette semaine, les auditions d’orgue, introduites, comme l’ensemble des concerts, par le grand spécialiste du Cantor de Lepizig en France, Gilles Cantagrel, qui a publié plusieurs sommes qui font référence – entre autres celle sur les cantates – font retentir chaque midi la sonorité aussi belle que la tribune de l’instrument de l’église de Pontaumur. Retenue en Hongrie pour des raisons de visa – à l’heure de l’Europe pourtant ! – Olga Pashchenko est remplacée par Vincent Morel pour celle de jeudi 13, tandis que Jean-Luc Ho – qui vient d’enregistrer un album consacré à Byrd qui mérite attention –  prend la relève de son concert de la veille, où l’art de Bach est éclairé par celui de ses prédécesseurs comme de ses contemporains, avec une fluidité et une intelligence illuminant l’exercice aussi délicat que parfois ingrat du récital pour clavier. Celui que donne le lendemain Matthieu Dupouy au clavicorde appartient à ces moments aussi rares que magiques dans la vie d’un mélomane où le temps suspend absolument son haleine. Ni clavecin, ni piano, le clavicorde distille une chant frêle et délicat qui invite à se rapprocher pour en goûter toute la saveur dans les dimensions réduites du clocher de Landogne. Le Capriccio que Bach composa pour le départ de son frère est détaillé avec une palettes de nuances aussi ténues qu’inspirées que l’on retrouve dans l’autoportrait Fantaisie « Les Sentiments de CPE Bach » et le Rondo « Adieu à mon clavicorde Silbermann » de Carl Philipp Emmanuel Bach, grand amoureux de cet instrument fragile qui peut évoquer parfois le luth. Si la Passion selon Saint-Jean constitue le grand rendez-vous de clôture le samedi de l’Assomption, on ne se limite pas ici aux instruments d’époque, à l’image de l’Orchestre d’Auvergne venu jouer quelques concertos de Bach et ses fils :la figure du génie allemand rayonne ici dans toutes les directions.

L’Opéra au pays du foie gras

Le Sud-Ouest attend les amateurs d’opéra à Saint-Céré, qui ne laisse pas le pittoresque de côté au château de Castelnau, avec la Dordogne en contrebas. Le dîner sur les remparts avec les rougeurs de soleil couchant sur les pierres encore chaudes offre en soi un incomparable prélude au spectacle du soir dans la cour du château, avec salade de magret et foie gras de rigueur. Ce qui se passe à la tombée de la nuit mérite tout aussi le détour. Palliant habilement les contraintes du plein air, Olivier Desbordes, le directeur du festival et metteur en scène, place Falstaff sur un plateau de tables, autour duquel tourne la destinée de cet ivrogne shakespearien affligé d’une lubricité qu’il prend pour de l’irrésistible galanterie. Alice Ford et ses comparses ne vont pas manquer de lui infliger une leçon de désillusion. Sans éprouver le besoin d’accentuer le ridicule ou l’imitation d’époque, la scénographie démontre un sens de la farce communicatif que les interprètes savent faire ressortir. On retrouvera Sarah Laulan en Quickly très en couleur en vocale, une piquante Valérie Maccarthy en Alice Ford et une Nanette ingénue par Anaïs Constans. On ne manquera pas l’incarnation débonnaire de Christophe Lacassagne dans le rôle-titre, aux côtés du hâbleur Ford de Marc Labonnette. L’économie du réalisme n’altère jamais la crédibilité des personnages, bien au contraire, emmenés par l’énergie de la baguette de Dominique Trottein. Sous le tiède dais des étoiles du Lot, le génie de Shakespeare et Verdi prend avec succès le goût du vert.

Festin baroque en Périgord

En remontant un peu vers l’Ouest, Périgueux et Sinfonia mettent les papilles au diapason des oreilles et célèbrent leurs vingt-cinq ans de mariage depuis que Michel et David Théodoridès ont fait la pari d’inviter, chaque dernière semaine d’août, la musique baroque au cœur du Périgord. C’est sous ses latitudes françaises que s’expriment Les Surprises en l’abbaye de Chancelade, dans un choix de pièces intitulées « songes sacrés », de Charpentier, Clérambault ou de Brossard, où l’inspiration religieuse prend des allures presque théâtrales. Ce sens de l’expressivité du texte voisin du monde lyrique, les musiciens de Louis-Noël Bestion de Camboulas la mettent en avant avec un naturel sensible et sans ostentation. On apprécie en particulier le velouté élégant de la viole de Juliette Guignard, entre autres dans le Tombeau de M de Sainte-Colombe de Marin Marais (compositeur révélé au grand public par le film Tous les matins du monde), quand, autre page profane scandant le programme, Les Sylvains de Couperin distillent la poésie du théorbe d’Etienne Galletier. Le soir, c’est l’Italie qui monte en chaire devant une foule au complet, avec de brillants concertos de Haendel et Vivaldi : nul besoin de science pour se laisser porter par l’inventivité mélodique et coloriste du Prêtre roux, avant de finir, en bis, sur un très pré-romantique Largo du Concerto pour violoncelle en la mineur de Carl Philipp Emmanuel Bach. Evoquons encore les rendez-vous de 15 heures, libres d’accès, qui offrent une tribune à de jeunes musiciens. On ne dira jamais assez que les plaisirs du mélomane vont de pair avec ceux du gastronome…

Par Gilles Charlassier

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