Haut lieu de l’histoire de la chrétienté situé au cœur de la baie de Somme, l’abbaye de Saint-Riquier, fondée au septième siècle, fut une des plus importantes places religieuses, scientifiques et artistiques du Moyen-âge – c’est d’ailleurs ici qu’ont été recensées les premières traces de notation musicale, comme en témoigne dans les murs même de l’abbatiale une exposition consacrée à Charlemagne, mort il y a tout juste mille deux ans et qui avait entretenu, ainsi que ses descendants, avec Saint-Riquier, des liens privilégiés. Tout juste nommé directeur artistique pour trois ans, Hervé Niquet, natif de la région, a voulu faire de ce fonds baptismaux de la dynastie des Capétiens devenu en 2012 Centre Culturel de Rencontre sous la houlette d’Anne Potié, le cœur du festival, resserré sur une durée de six jours, sous le signe de la musique bien sûr, mais aussi du théâtre, à l’instar du spectacle « Mais où est passé Nithard ? », pièce de Manuel Durand inspirée par la redécouverte des ossements du petit-fils de Charlemagne au pied de l’abbaye – une tournée est prévue à la rentrée.
De Rameau au jazz, un feu d’artifice de couleurs
Couronné par la prix du Syndicat de la Critique, l’ensemble baroque Les Surprises livrent, sous la férule de Louis-Noël Bestion de Camboulas, un condensé de leur talent en soirée de clôture dans une série de suites tirées des Surprises de l’Amour de Rameau et de deux opéras, Scanderberg et Le Ballet de la Paix, écrits par un duo inséparable, François Rebel et François Francoeur – au point qu’il s’avère parfois impossible de distinguer l’un et l’autre dans leurs créations communes. Les pages s’articulent ainsi, de manière très naturelle, comme une symphonie imaginaire à six mains – plus composition organique d’ailleurs que simple juxtaposition de morceaux disparates. Loin des sonorités frêles et parfois acidulées de certaines formations, Les Surprises en réservent d’agréables avec leurs couleurs riches, leurs textures nourries et charpentées. Soulignons le timbre généreux des bassons, la fluidité aérienne de la flûte, la tenue des cordes – le son fruité et moelleux du premier violon ravit autant l’oreille que la musicalité – qui redonne aux si fameuses Water Music de Haendel données en première partie de concert une fraîcheur nouvelle. Jeune encore, l’orchestre n’en montre pas moins une solidité remarquable et peut d’ores et déjà sans rougir se mesurer aux plus grands – et l’on ose lui prédire qu’il les rejoindra sans doute dans les prochaines années.
Evoquons également Les Automates de Topkapi, jeu de masques et de danses baroques que Les Jardins chorégraphiques et La Compagnie Beaux-Champs ont réalisé à partir d’une adaptation pour deux clavecins des Indes Galantes de Rameau, destiné à familiariser un public novice, tandis que Paul Lay croise avec finesse jazz et harmonies classiques dans la grange de l’abbaye. Le programme qu’il joue avec son trio reprend en partie le contenu de son dernier enregistrement, Mikado. Souple, lumineux, nuancé, son piano dialogue avec la clarinette fluide et volubile d’Antonin-Tri Hoang ou la robuste contrebasse de Simon Tailleu. L’art de la variation de connaît pas les frontières de genre, et ces trois jeunes solistes le démontrent admirablement. Enfin, point d’orgue de ce voyage musical, Hervé Niquet et son Concert Spirituel accompagnent avec les Fireworks de Haendel ceux qui éclaboussent la façade de l’édifice, belle et originale initiative qui conclut un 14 juillet pas comme les autres.
Gilles Charlassier
Festival de Saint Riquier, du 9 au 14 juillet 2014