7 mars 2020
La Ménagerie de verre, huis clos incestueux à l’Odéon

En pleine hystérie du Covid 19, le Théâtre de l’Odéon était presque comble pour cette première très attendue de La Ménagerie de verre avec Isabelle Huppert. Pas de distribution de gel hydroalcoolique, ni de masque, quelques toux au parterre n’ont pas empêché Claire Chazal, Jacques Lang et le tout Paris du théâtre de venir voir dans la mise en scène d’Ivo Van Hove, la pièce la plus autobiographique de Tennessee Williams. Après Un Tramway nommé désir version Warlikowski avec, déjà, Isabelle Huppert en 2010, puis en 2018, Soudain l’été dernier, l’Odéon plonge à nouveau dans la « tragédie de l’homme ordinaire » décrite par Arthur Miller et que Tennessee Williams sut particulièrement mettre en forme. Ainsi, le destin de Tom, double de Tennesse, qui étouffe dans le foyer familial formé par sa mère hystérique et sa petite soeur Laura, »Bluerosie », boiteuse dans son corps comme dans sa tête. C’est d’ailleurs telle une autiste que la jeune Justine Bachelet joue avec grâce ce personnage qui s’inspire de la propre soeur de l’auteur, Rose qui, diagnostiquée schizophrène, subit une lobotomie en 1943.

Mise en scène à clé

Ecrite un an plus tard, La Ménagerie de verre, titre en référence aux petits animaux en verre, si fragiles, à l’image de cette jeune fille qui les collectionne, offrira son premier succès à Tennesse Williams. Ainsi, dans Portrait d’une jeune fille en verre, il revient sur ce drame: « Je ne pense pas que ma soeur ait été réellement folle. Je crois que les pétales de son esprit se trouvaient simplement repliés par la peur ». La peur de quoi ? semble s’être demandé le metteur en scène belge qui avait offert en 2016 une adaptation magistrale des Damnés à Avignon. Et Ivo Van hove de répondre par ce qui ressemble à un inceste, sans doute questionné par Tennesse Williams écrivant « en rentrant de l’entrepôt, ou après avoir fini d’écrire, le soir, j’entrais dans sa chambre pour lui faire une petite visite (…) J’avais les nerfs usés et ma soeur exerçait sur moi un effet calmant ». Libre au public de l’interpréter ainsi lorsque Laura entonne sur scène L’Aigle noir de Barbara, chanson à « clé » où la chanteuse évoque le viol que lui fit subir son père.

Une pièce datée

A cela s’ajoute la pauvreté de ce trio vivant dans un sous-sol, les coupures d’électricité, la pluie traversant le toit tandis que la mère vit sur ses souvenirs forcement glorieux et que le fils rêve de fuir pour aller à « l’aventure ». En attendant, il se réfugie au « cinéma », là encore un euphémisme pour cacher la réalité de ses sorties pour vivre son homosexualité. De quoi perdre en chemin le spectateur, entre le personnage surjoué et risible de la mère que Isabelle Huppert incarne sans beaucoup de nuances et cette histoire qui apparait au final un peu datée. Après Soudain l’été dernier, mis en scène par Stéphane Braunschweig la saison précédente et particulièrement ennuyeux, aura-t’on le droit de voir Une chatte sur un toit brulant l’année prochaine? Ce qui est certain, c’est que Isabelle Huppert ne pourra pas jouer la torride Maggie, à jamais immortalisée au cinéma en 1958 par Elizabeth Taylor avant que Scarlett Johansson ne se soit emparée du rôle avec succès à Broadway en 2013.

Par April Weeler

La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, Théâtre de l’Odéon jusqu’au 26 avril 2020

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