9 septembre 2013
La grande classe

Un demi siècle à interviewer les plus grands. Voilà un destin qui n’est pas commun. David Frost, grand nom du journalisme anglais est mort la semaine dernière. Il avait obtenu en 1977 une série d’interviews exclusives de l’ancien président Richard Nixon, lesquelles avaient fait l’objet d’un film en 2008, Frost/Nixon, réalisé par Ron Howard. car, Hollywood ne s’y était pas trompé: rares sont les hommes ou femmes capables de se frotter au pouvoir; de ne pas tomber dans la déférence et mettre à mal la mécanique de langue de bois propre à tout homme en représentation, a fortiori lorsqu’il est un personnage politique. Le dernier film d’Andrej Wajda revient sur le talent que les « anciens » savaient avoir dans cet exercice en la personne d’Oriana Fallaci. Cette Italienne, morte en 2006, donna en effet toutes ses lettres de noblesse à l’interview politique comme ont pu le découvrir les spectateurs à la dernière Mostra de Venise dans le film Walesha, Man of hope. Reçue dans l’appartement du célèbre ouvrier polonais, on y découvre, servant de fil rouge au film, toute l’intelligence de son questionnement, de « Comment devient-on un leader?  » à la question brûlante sur la possible entrée des chars russes en Pologne. Un brillant exercice de style qui semble bien étranger à  nos interviewers français, le plus souvent dans leurs petits souliers et avec une hauteur de vue au ras de la pelouse de l’Elysée. Ainsi,  lorsqu’ils ne les inventent pas -PPDA et Fidel Castro- les rencontres ne donnent lieu à aucun moment rare ni fort, de ceux qui donnent naissance à cette fameuse  » troisième personne ». Au contraire, on assiste immanquablement à un face à face et une pêche à la « petite phrase » qui plongent le plus souvent le téléspectateur dans un ennui abyssal et une vacuité certaine. Quant à retirer son tchador devant Khomeny comme Oriana Fallaci en 1979, le prenant au mot après qu’il lui eut dit « vous n’êtes pas obligée de le mettre, car le vêtement islamique est pour les jeunes filles et les femmes bien », voilà bien un acte de résistance qui ne risque pas d’arriver dans les générations actuelles issues d’ écoles de journalistes, bien plus enclines à les préparer  à la propagande ambiante dans les médias français. Il faut dire que même le service public a tendance à privilégier la forme sur le fond  et le brushing de Laurent Delahousse à la pugnacité doublée de cette chose qui devrait être la quête même d’un interviewer: le pourquoi de « l’autre »…Cela dit, n’est pas Frost ou Fallaci qui veut…

Par Laetitia Monsacré

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