23 novembre 2012
La fille d’Orsay

« On peut dire que tous ses petits organes sont au bon endroit ». Ce n’est pas du Audiard mais les mots de Jean Rochefort à propos de celle qui, aux éditions Place des Victoires, lui succède aux côtés d’Edwart Vignot pour,  après le Louvre à Cheval mettre… Orsay à nu. Une grande blonde qui s’appelle Ariane mais s’est vu rebaptisée Louise, désormais son prénom de scène. Louise Bourgoin, ex-Mademoiselle Météo sur Canal Plus, comédienne née à voir son premier passage sur grand écran dans La fille de Monaco; télégénique en diable, timide comme un faon et passionnée d’art, ce qui lui donne une fraicheur pour en parler particulièrement revigorante. La bouche et les ongles bien rouges, un chignon à la Jane Austen, chaussée de ballerines compensées très arty, elle est là, assise, yeux baissés dans ce petit bureau tout gris. Là, où on a bien voulu nous laisser dans cette librairie où elle s’apprête à signer ce très beau livre dans lequel se sont glissés en page de garde ses propres dessins. Un homme et une femme, le corps nu et offert, tous deux alanguis, témoignage tout en courbes des jolis restes de ses années aux Beaux Arts de Rennes. Car si l’on ne parle bien que de choses que l’on aime et que l’on connait, l’effeuillage de « LB » comme elle signe chacun de ses commentaires est l’occasion au fil de ces oeuvres datant principalement du XIX ème siècle, de réconcilier tous ceux qui ont connu l’ennui dans un musée. « On écrit avec ce que l’on est et les voies de traverse ne sont que d’autres vérités » note t-elle en préambule, confirmant cette idée que ses mots s’ordonnent aussi bien que les traits de son visage.

Le livre est dédiée à votre mère, le goût pour l’art, ça vient d’elle?

Non, ma mère est professeur de français, mais elle m’a scrupuleusement relue pour éviter les coquilles! Mais c’est vrai que l’art est un peu de famille car mon arrière et mon arrière-arrière grand père étaient peintres professionnels; mon père dessinait beaucoup aussi, c’est lui qui m’a appris le dessin d’ailleurs. Après le bac, je ne voyais pas vraiment ce que je pouvais faire alors je me suis inscrite aux Beaux Arts. Dans les questionnaires d’orientation au lycée, j’avais eu 98% de réponses tendant vers les arts plastiques, alors c’était un peu une évidence. Puis j’ai raté mon Capes d’arts plastiques qui m’aurait permis d’enseigner et avoir une sécurité d’emploi…Maintenant,  je ne me sentais pas particulièrement pédagogue…Je me suis alors dit: qu’est ce qui peut rapporter beaucoup d’argent en peu de temps et qui ne demande aucune formation préalable? Qui me permette d’avoir mon appartement à Paris, d’avoir mon atelier et créer sans être chez un galeriste? A part la télé, je ne voyais pas! Alors j’ai envoyé un  seul CV sur une chaine du câble de Lagardère et j’ai été prise. J’y suis restée deux ans puis deux ans sur Canal Plus.

Vous rendez vraiment les « clés » à travers ce livre, loin des ouvrages d’art très techniques, souvent pédants et ennuyeux…

J’ai lu beaucoup d' »Histoire de l’art « et à part Daniel Arrasse avec son livre On n’ y voit rien, qui est drôle et donne plein de détails concrets, les autres étaient totalement déshumanisés , asexués. Or quand on pense à Toulouse Lautrec qui avait une vie particulièrement sulfureuse et tant d’autres, c’était terrible de ne laisser que des gens ultra « collet-montés » parler d’eux ! Edwart Vignot, sans lequel je n’aurai pas osé écrire, a été un très bon accoucheur, il m’ a harcelé! Et quand je « séchais » devant une oeuvre comme la Diane de Jules-Elie Delaunay (« Rien ne me parle , ni ne me touche dans ce tableau »), je me suis autorisée à l’écrire; je trouve qu’il y a tellement de gens qui sont complexés de ne pas ressentir des choses…

On nous apporte un plateau avec du thé, Louise complimente alors la jeune femme sur ses boucles d’oreilles « Elles sont superbes, vous les avez achetées où? » Elle reprend.

Du coup, souvent ils s’abreuvent auprès d’un audio guide avec des détails pour se rassurer. Cela vous coupe de vos sensations, des émotions.

Le thème du nu s’est imposé tout de suite?

Oui, très égoïstement, c’était mon sujet de travail aux Beaux Arts. Jean Rochefort, c’était le spécialiste du sujet équin; moi, je n’en ai pas vraiment si ce n’est que j’ai vu de nombreux nus! Elle éclate de rire. Dans mes cours de dessin, évidemment…Ça m’intéressait de tenir compte de mon désir, et d’avoir un avis masculin/féminin sur la même oeuvre, quelque fois des commandes réservées aux hommes comme l’Origine du monde…(ce sexe de femme peint par Gustave Courbet et longtemps caché derrière un autre tableau ou un rideau). Je me suis aussi rendu compte de la modernité de ce thème; un nu ne se démode pas…

Vous citez Gilda, cette femme fatale jouée par Rita Hayworth pour la Naissance de Venus qui en reprend la pose dans le tableau de William Bouguerreau. Vous diriez qu’aujourd’hui vous avez un oeil cinématographique?

Mon nouveau métier a changé mon point de vue oui. Avant je rêvais en dessin, maintenant, je rêve en films…J’en vois énormément pour rattraper mon retard; tout m’intéresse. Je ne m’ennuie jamais sur un plateau car tous les corps de métier m’intéressent. Je viens de voir l’exposition Hopper, toute son oeuvre est comme un travelling avant!Il commence dans les forêts et finit avec l’intérieur d’une maison. C’est magnifique. J’ai adoré les gravures que je ne connaissais pas.

Quel est votre rapport quotidien avec l’art?

J’aime beaucoup cette phrase de Nietzsche qui dit qu’« il n’y a que l’art qui peut nous protéger de la vérité ». J’aime bien aussi cette idée de transversalité comme la pratique Isabelle Huppert: poser pour des artistes contemporains, se balader dans plein de domaines-elle s’intéresse à tout. S’ouvrir à tous les arts nourrit forcément la personne que l’on est, apporte plus de richesse à l’écran; l’oeil s’éduque et je crois que plus l’on voit de choses, plus l’on est heureux, tout simplement…Pour avoir fréquenté les brocantes pendant quinze ans, je sais aujourd’hui repérer, voir. Et puis ça m’apaise tout comme la philosophie que je lis un peu,  une sorte de religion d’athée…

Vous ne le dites pas dans le livre, mais vous devez avoir une préférence pour une oeuvre?

Oui, pour les deux Ingres. Je suis une fanatique de La Source, qu’il a mis trente cinq ans à finaliser! La liberté qu’il prend avec la morphologie pour perfectionner sa courbe; il fait presque mieux que Dieu.

Comment  l’actrice vit-elle sa vie en parallèle à  l’art?

Pour mon premier tournage, j’ai eu le sentiment d’avoir toujours été là, d’avoir trouvé l’endroit où j’étais bien. Alors quelque fois c’est dur, mais au fond je suis comblée. C’est le pendant de ce que je faisais aux Beaux Arts où je mettais beaucoup en scène, notamment des corps d’hommes. Là c’est moi qui suis devenue le modèle et ça me complète. Mais je ne pourrais pas lâcher le dessin, mes projets personnels. La mise en scène? Bien sûr,  ça m’intéresse, ça m’amuse en plus de voir comme c’est sacralisé. Enfin pour l’instant, j’ai envie de tourner. Quant à l’art je continue de faire des salons, de collectionner-il y a d’ailleurs une aquarelle qui m’appartient dans le livre et chez moi c’est la caverne d’Ali baba, il y en a partout sur les murs…En ce moment j’achète des natures mortes du XIXème peintes par des femmes. Le livre m’a fait me pencher sur cette époque alors qu’aux Beaux Arts, cette période était ultra-méprisé par mes profs! L’art de bourgeois, du chantilly épouvantable…J’ai dû avoir une heure de cours sur eux en cinq ans…

Et l’art contemporain?

J’en ai aussi, des petites choses, d’artistes pas connus. Mais dans un livre, c’est beaucoup plus dur à représenter; là , sur les oeuvres qui sont reproduites et les originaux à Orsay, il n’y a presque pas de différence.

Et le cinéma? La question parait incongrue tant ces toiles dont elle a si bien su parler-« Madame Rêve «  pour Gustave Moreau, « délire sous acide » pour G-A Rochegrosse- collection Louise Bourgoin-, « Blanche comme une orange » pour Ingres-semblent réclamer l’exclusivité. Louise renseigne toutefois poliment. Elle vient de finir un tournage avec Nicole Garcia comme réalisatrice-« après ce sera dur de retrouver aussi bien »-puis raconte ces voyages au bout du monde où les journalistes cinéma vous posent cent fois la même question, « de quoi avoir envie de pleurer après dix heures d’avion ». C’est tellement plus agréable d’aller à quelques mètres de là, se promener un après midi au musée d’Orsay…

Par Laetitia Monsacré


 

 

 

 

 

 

 

 

 

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