18 décembre 2017
La Damnation de Faust de Berlioz revisitée à Rome

Depuis sa prise de fonctions à la tête du Teatro dell’Opera de Rome il y a trois ans, à la suite du départ de Riccardo Muti, Carlo Fuortes n’a eu de cesse d’en renouveler le répertoire, et de faire du spectacle inaugural de la saison une sorte de symbole. Rusalka de Dvorak, puis Les Bassarides de Henze en 2015, et enfin l’année suivante un Tristan und Isolde de Wagner coproduit avec le Théâtre des Champs Elysées, il ne sera pas dit que seul l’opéra italien s’affiche au Costanzi – même s’il y a des entrées naturellement privilégiées. L’ouverture de la nouvelle saison ne le démentira pas, avec un ouvrage absent de la Ville Eternelle depuis plus de soixante ans, La Damnation de Faust de Berlioz – même si la gageure de le mettre en scène peut être prise pour une circonstance atténuante – confié à un des artistes les plus en vue de la scène lyrique, et il est italien : Damiano Michieletto – le public florentin a d’ailleurs pu apprécier sa Flûte enchantée et son Idoménée au printemps dernier.
Inspirée par le drame de Goethe, la légende dramatique, ainsi que Berlioz l’a lui même caractérisée, ne cherche pas à se glisser dans les canons de l’opéra, et pour éviter la facilité de la vaine illustration, fût-elle virtuose comme celle de Robert à Bastille avant le délire cosmique et eschatologique proposé par Alvis Hermanis récemment, on tente des stratagèmes. A Lyon, David Marton s’autorisait à triturer la partition pour ses procédés empruntés au cinéma, avec un résultat dérangeant et discutable, mais stimulant.

Faust et le harcèlement scolaire

Passée la perplexité initiale devant un plateau scandé par Paolo Fantin en deux parties, une chambre d’un blanc clinique en bas, et le choeur sur des gradins en haut qu’il ne sera pas difficile d’assimiler plus tard aux cieux, on comprend que Faust est un adolescent harcelé par ses camarades parce qu’il est sérieux et hermétique aux amusements de son âge. La potion de jouvence promis par le diable sera alors symbolique. Mais la prétention sociologique du propos semble avoir du mal à équilibrer le réalisme et le fantastique, et se sent obligée d’appuyer une démonstration visuelle parfois presque vulgaire dans le dégoulinement final de cire noire, pour nous faire déduire que l’histoire avec Marguerite n’est qu’un rêve du héros sur son lit d’hôpital, où il est étendu après avoir été battu à mort, avant de faire coïncider son trépas avec sa damnation. Et la direction d’acteurs paraît plus d’une fois contrainte dans des procédés.
En Faust, Pavel Cernoch rend perceptible la vulnérabilité de son personnage, quoique la voix ait du mal à s’affranchir de raideurs plus d’une fois pénalisantes. Alex Exposito ne s’attarde pas sur les subtilités qui pourraient nourrir un Méphistophélès qui n’échappe pas toujours à la caricature. La Marguerite de Veronica Simeoni n’est pas sans séduction, mais se révèle finalement dépassée par son rôle. Goran Juric assume sans éclat importun l’intervention de Brander. Préparés par Roberto Gabbiani, les choeurs, auxquels se joignent les enfants de la Scula di Canto Corale, tirent profit de la direction instinctive et avisée de Daniele Gatti, sensible aux dynamiques des couleurs de la partition, au travers desquelles transparaissent des influences et des prémonitions à l’oeuvre dans le corpus lyrique de Berlioz, à l’exemple de motifs ou de formules que l’on reconnaîtra dans Les Troyens. Si elle n’est pas celle à laquelle on pense de prime abord, la fosse romaine s’est pourtant déjà illustrée dans ces intimidants Troyens, avec Georges Prêtre et un plateau de grandes voix dans les années soixante. On renouvellerait bien l’expérience avec Daniele Gatti dans ce même Teatro Costanzi.

Par Gilles Charlassier

La Damnation de Faust, Rome, décembre 2017

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