Si Jim le Pariser suit les traces des plus grands rendez-vous de l’été, il n’en flaire pas moins celles des nouveau-nés, à la recherche d’excellences nouvelles : le festival Eva Ganizate la semaine dernière, et aujourd’hui La Clef des Portes, imaginé par deux pianistes, Ludmila Berlinskaia et Arthur Ancelle, l’une russe, l’autre français – lesquels viennent d’ailleurs d’enregistrer un magnifique disque Prokofiev chez Melodia. Comme souvent, tout est parti d’un coup de cœur, en l’occurrence ici pour l’église et le château de Talcy, au cœur de la Beauce, à une vingtaine de kilomètres au nord de Blois. Après un premier coup d’essai réussi l’an passé, la seconde édition n’échappe pas aux commémorations et se place sous le signe de la première guerre mondiale. Mais l’originalité de la programmation de La Clef des Portes réside dans une exploration inédite de répertoires méconnus : plutôt que la rareté pour la rareté, elle privilégie les parentés et correspondances, et celle du vendredi 29 août en offre l’admirable témoignage.
Fervente Anna Kasyan
Sur des textes de Rémy de Gourmont, Le vieux coffret d’André Caplet déploie une envoûtante atmosphère teintée de mystère et de symbolisme qui s’épanouit avec le timbre chaleureux d’Anna Kasyan. D’origine arméno-géorgienne, la soprano française se montre aussi à l’aise que les mots dans cette ample inspiration mélodique, davantage que dans les deux poèmes de Ronsard – qui a séjourné à Talcy – mis en musique par Poulenc, d’autant que le compositeur prend souvent le contrepied de la prosodie originelle. Cela se révèle sensible dans les pépiements d’Attributs, moins dans Le Tombeau, compensé par une belle intériorité, souligné par l’accompagnement attentif d’Arthur Ancelle. Après la Sonate pour clarinette, œuvre de jeunesse de Poulenc où s’exprime déjà son irréductible fantaisie que Michel Lethiec et Denis Miasnikov rendent d’une manière jubilatoire, le tabouret accueille Ludmila Berlinskaia pour trois mélodies tirées de Pressentiments de Miaskovsky : Anna Kasyan habite le dernier, Incantation, avec une ferveur prenante.
Intensité de la musique
Après l’entracte, le violoncelle d’Alexandre Roudine rejoint la pianiste russe pour une remarquable Sonate de Debussy, et surtout la captivante Sonate n°1 opus 12 de Miaskovsky. D’une forme cyclique où l’on peut reconnaître par exemple l’héritage d’un César Franck, la partition emmène l’auditeur sur les flots d’un puissant lyrisme qui vibre merveilleusement sous l’archet d’Alexandre Roudine. Sans brutalité, ni excès de sentiment, celui-ci exhibe une noblesse profonde et touchante, portée par la piano de Ludmila Berlinskaia. L’Ouverture sur des thèmes juifs pour clarinette, piano et quatuor à cordes de Prokofiev – l’un des plus grands succès de son auteur – qui referme la soirée ne relâche pas l’intensité de l’émotion. Les motifs s’impriment d’emblée dans la mémoire, et l’interprétation vivante qu’en donne Michel Lethiec et Ludmila Berlinskaia avec leurs comparses aussi. Reprise deux fois en bis, la fin de la pièce ne se boude pas, et notre plaisir non plus : le festival La Clef des Portes confirme pour cette deuxième édition au moins avoir celles de la musique.
Gilles Charlassier
Festival La Clef des Portes, Talcy, Eglise (et Halle de Mer), du 28 au 31 août 2014