24 janvier 2012
La cause du Peuple

« Un ver de terre amoureux d’une étoile » se tortille en ce moment avec beaucoup de talent sur la scène du Théâtre des Gémeaux, à Sceaux. Cet asticot, c’est Ruy Blas, alias Nicolas Gonzales. Et le jeune homme joue les transis comme personne. Avec ce que tout cela comporte de ridicule. L’amour rend bête et Gonzales, en Ruy Blas est délicieusement idiot.

Après avoir présenté la pièce le 8 novembre dernier pour la réouverture du TNP de Villeurbane, Christian Schiaretti, qui en est le directeur, entame sa tournée aux très chics Gémeaux. Tout fait sens dans cette aventure. Le 8 novembre fut la date de la première représentation de la pièce en 1838. Puis elle fut montée en 1954 par Jean Vilar au… TNP ! (Avec Gérard Philipe, bien sûr, dans le rôle de Ruy Blas). Hugo, « poète du coeur », disait Vilar, fondateur du Théâtre populaire. C’est donc aujourd’hui un hommage à ces deux géants du théâtre et dans cette lignée, revendiquée, que s’inscrit la mise en scène de Schiaretti.

Dénonciation des puissants

Car devant ce public bourgeois de Sceaux, c’est bien un théâtre populaire, dans sa définition la plus stricte et au sens le plus noble, qu’il déploie. Accessible et jubilatoire, voilà qui aurait plu à Vilar. Car tout ici est spectacle. Ruy Blas, laquais de son état, est fou amoureux de la Reine d’Espagne. Don Salluste, exilé du Palais par cette même Reine pour avoir engrossé sa suivante, veut se venger d’elle. Ruy Blas accepte, prêt à tout pour approcher l’être aimé, d’être l’instrument de son plan machiavélique… A ses risques et péril. Une intrigue classique ultra efficace, un lyrisme total, une pensée engagée, de grands sentiments, un romantisme absolu. Que demande le peuple ! Car ce peuple, Hugo, lui aussi, avait à cœur de l’atteindre. C’est pour lui qu’il a écrit cette pièce, mal accueillie à sa publication puis carrément interdite sous le Second empire, tant elle apparaissait comme une charge contre le pouvoir en place. Soucieux de justice sociale, ça oui, Hugo l’était. Souvenez-vous plutôt en quels termes l’auteur, à travers Ruy Blas, dénonce les puissants : « Bon appétit Messieurs,  Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux ! Voilà votre façon. De servir, serviteurs qui pillez la maison ! Donc vous n’avez pas honte, et vous choisissez l’heure. L’heure sombre où l’Espagne agonisante pleure. Donc vous n’avez ici pas d’autres intérêts que remplir vos poches et vous enfuir après. Soyez flétris devant votre pays qui tombe, fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe ». Étrangement actuel.

Pas d’artifices

Pour servir ce propos là, cette pièce au verbe haut, à la langue superbe, voire pompeuse mais si franchement théâtrale, Schiarretti ne fait pas de chichis. Sur le plateau, pas de fioritures. En guise de décor, d’immenses azulejos aux couleurs faussement passées. Toute la place est laissée à la force des mots. Des costumes d’époque, des acteurs au service du texte et non d’eux-mêmes, et qui prennent un plaisir immense à jouer, avec les vers et cette intrigue dont ils ont toute conscience qu’elle est l’incarnation même de la théâtralité. Schiaretti et ses acteurs s’engouffrent à bras le corps dans cette pièce qu’ils prennent volontiers au pied de la lettre tout en la mettant subtilement à distance. Non par des artifices de mise en scène, ne cherchant pas à tout prix une fausse modernité accessoirisée, mais par le jeu, tout simplement. Ruy Blas (Gonzales, beau comme un jeune premier) et Don César (Jérôme Kircher subtil et hilarant) par leur ton et leur diction s’amusent de ce texte avec une légère ironie tout à fait actuelle. A leurs côtés, les immenses Robin Renucci en Don Salluste et Roland Monod (pilier du TNP) en Don Guritan, qui n’ont plus rien à prouver.  Seule la Reine, trop premier degré, manque cruellement de relief.
Pas de grosse surprises, certes, mais qu’importe. On sort de là enchanté par ce théâtre entier, assumé, bien dans ses baskets, en somme. Et on en redemande.

Par Sarah Gandillot

Jusqu’au 29 janvier, Au Théâtre Les Gémeaux à Sceaux

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