3 juillet 2016
La Californie sous le signe de l’innovation lyrique

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La plus ancienne compagnie lyrique de Los Angeles n’a pas ses quartiers Downtown : itinérant dans la mégapole sud-californienne, le Long Beach Opera referme sa trente-septième saison à Santa Monica, dans l’Eli and Edythe Broad Stage, sis au Performing Arts Center de l’université de la ville, avec une création étonnante, The News, de JacobTV – initiales de son patronyme que le compositeur néerlandais a transformé en acronyme on ne peut plus au diapason de l’ouvrage ici présenté, construit à partir d’échantillons de journaux télévisés. Loin de se réduire à la tentation d’un banal crossover, le résultat donne à entendre une véritable composition musicale, à partir d’un matériau non conventionnel – et non-fictionnel.

L’infotainement à l’opéra

En préambule des soixante-quinze minutes de spectacle, Andreas Mitisek, le directeur artistique de la maison, qui assume ici la direction orchestrale, accueille le public depuis le plateau de télévision dessiné par Tanya Kane-Parry, avec un résumé de la course présidentielle façon répertoire opératique, où Hillary Clinton serait Turandot, Donald Trump Baron Ochs et Bernie Sanders un Lohengrin de soixante-dix ans sans cygne. Le ton de la soirée est donné : celui du détournement. La puissance comique du procédé n’échappe pas aux premières scènes, où les deux solistes se livrent à une déconstruction rythmique et mélodique des phrases d’attaques d’un bulletin d’information, donnant ainsi à opposer d’emblée la virtuosité de Loire Cotler au lyrisme de Maeve Höglund. Pour autant, en synchronie avec la succession des projections vidéographiques, d’autres émotions affleurent face à la misère du monde, voisinant avec le sarcasme du déluge numérique de la Bourse.

Une création ouverte

Composé de trente-deux séquences dans la version ici donnée – dont certaines écrites avec brio par la vocaliste rythmique Loire Cotler –, la pièce s’articule autour d’un procédé, que l’on peut dupliquer sans limites de variations, donnant ainsi à l’ensemble l’allure d’une œuvre ouverte et renouvelable, aux confins de l’installation – le compositeur assume d’ailleurs la durée modulable de sa partition. Si l’architecture de ce reality-show peut se révéler un peu lâche en conséquence, sa force – inattendue pour ce genre de concept – vient de ce qu’il cherche d’abord une authentique émotion esthétique – pour mieux édifier, certes, et il est plus d’une saynète qui humilierait pour les politiciens les plus conservateurs – et populistes. D’une réjouissante versatilité stylistique donnant quelques lettres de noblesse aux effectifs instrumentaux de la pop, l’amplification acoustique gagnerait cependant à un peu moins de saturation, sans que cette balance parfois déséquilibrée n’altère la stimulante originalité de cette création.

Une femme à la baguette

La fin de saison de l’Opéra de Los Angeles, qui fête ses trente ans cette année, avec le patronage constant de Placido Domingo, revêt en comparaison une allure nettement plus traditionnelle, avec à l’affiche une Bohème mise en scène par Herbert Ross, et reprise par Peter Kazaras. Les décors de Gerard Howland s’essaient à une restitution poétique du Paris de Murger et Puccini, plus proches de Disney que de la fidélité historique cependant – différence que ne semblent pas relever des angelinos souvent ravis de la carte postale. Le plateau ne manque pas d’atouts néanmoins, où le Rodolfo de Mario Chang, remplaçant Abdellah Lasri souffrant, côtoie le Marcello également investi de Giorgio Caoduro. Nicholas Brownlee et Kihun Yoon, membres du Domingo-Colburn-Stein Young Artist Program, respectivement Colline et Schaunard, ainsi que Amanda Woodbury, Musetta, ancienne étudiante de cette académie, participent du vent de jeunesse qui souffle sur la distribution, ce que ne contredit pas la Mimi d’Olga Busuioc, laquelle fait le nécessaire pour rendre touchante son incarnation phtisique. Si les deux dernières bénéficient de l’aura de Gustavo Dudamel, la star vénézuélienne à la tête du Los Angeles Philharmonic depuis 2009, et qui fait ses premiers pas dans la fosse de l’Opéra voisin sur cette production, l’essentiel des représentations est assuré par Speranza Scappucci, qui démontre brillamment qu’une femme sait aussi bien manier les rênes d’un orchestre, avec un évident sens de l’équilibre et de l’émotion. Indéniablement, la Californie réussit à rafraîchir les traditions – et à s’en affranchir.

Par Gilles Charlassier

The News – Long Beach Opera, juin 2016 ; La Bohème – Los Angeles Opera, mai-juin 2016

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