25 octobre 2012
La belle résiliente

La dédicace ne trompe pas. L’écriture ronde qui ressemble à celle d’un enfant, généreuse avec un « très amicalement ». La signature est, elle, affirmée, avec des lettres plus pointues, difficile à déchiffrer. Ainsi est Nathalie Rheims, donnant une image de femme distante, secrète et exigeante et, qui offre pourtant, une fois en tête à tête, de  » l’essentiel  » comme seuls les enfants savent le faire-avec générosité et sans calcul. Fille de l’académicien Maurice Rheims, descendante de la dynastie Rothschild, elle a été comédienne après avoir fait « la rue Blanche »,  puis est « entrée en écriture »comme on se rendrait année après année à un rendez-vous amoureux.  L’amour, une constante dans sa vie, pour les hommes, pour les mots, pour les films, pour ses chiens. Des amours partagés pour se guérir sans doute de celui originel-qui fut « tué dans l’oeuf »- de sa mère. Laisser les cendres s’envoler, son dernier livre aux Editions Léo Scheer parle de cette rencontre qui n’eut pas lieu, cette petite fille qui connut surtout le parfum que sa mère laissait dans son sillage lorsqu’elle sortait le soir puis, à treize ans, dut faire face à l’absence. Pire au vol de sa mère par un homme, qui tel un « mage », semblait l’avoir ensorcelée. A la voir aujourd’hui dans la société de production qu’elle a créée et qui a produit il y a plus d’un an le  film ô combien touchant Mon père est femme de ménage avec un François Cluzet exceptionnel en père nourricier (c’était juste avant Intouchables), on se dit qu’elle a su consciencieusement faire de sa fêlure une force et à lire ses mots, la transformer en cadeau.

Vous avez déjà été beaucoup interviewée, n’éprouvez-vous pas une certaine lassitude à parler de votre livre ?

A chaque fois que vous parlez d’un film, d’un livre-quelque chose qui parle de vous-les gens qui vous posent des questions ont tous un regard qui est différent; ils ont vu, lu ou compris des choses que les autres n’ont pas perçu de la même façon, ou ils éclairent les choses d’une manière différente. Il faudrait écrire et ne pas parler du tout ce qui au fond serait l’idéal; quand on écrit c’est pour ne pas parler. Tout est dans le livre. Mais non, je ne trouve pas que cela soit lassant car c’est aussi le signe que ça fonctionne, que vous êtes lu, que les gens s’intéressent à vous. Ce serait un peu spécial de dire qu’on n’en peut plus…

Est- ce que ce livre vous a aidée à faire le deuil de votre mère?

En fait, ou je ne l’ai pas fait ce qui est une possibilité à laquelle je n’ai pas de réponse ou je l’ai fait au delà, ce qui m’a permis d’écrire ce livre à la bonne distance. Je ne voulais pas être dans la tragédie, le pathos. Je pense qu’il y a aussi un côté cruel et amusé dans cette histoire que je n’aurais pas pu avoir si je n’avais pas réussi à faire ce deuil. Alors bien sûr, je suis triste par moments lorsque j’y pense contrairement à ce que je dis dans le livre, d’autant que la relation avait très bien commencé entre nous, ce n’est pas comme si j’avais eu une mère affreuse! On ne fait jamais le deuil complétement de ses parents. Mais j’ai accepté le « lâcher prise » depuis très longtemps, je l’ai fait très vite après sa mort.

Comment votre famille a-t’elle « reçu » le livre qui décrit de façon assez terrible leur mode de fonctionnement?

Ça s’est plutôt bien passé car ils ont les qualités de leurs défauts; ils ne sont pas très intervenants quand il y a des problèmes mais du coup ils respectent beaucoup ce que font les uns et les autres. Certains de mes cousins n’ont ainsi pas suivi un cursus traditionnel, ce qui n’empêche pas la famille de jeter sur eux un regard bienveillant. Ils m’ont toujours laissée écrire mes livres. Non, c’est le personnage de l' »artiste » qui est terrible; d’ailleurs vous allez recevoir une lettre, il écrit à tout le monde. Ma soeur et moi n’avions eu pourtant aucune nouvelle de lui jusqu’à ce livre.

Justement votre soeur-Bettina Rheims-, comment se fait-il qu’elle n’apparaisse pas dans votre livre?

Il y avait un grand écart d’âge; et puis elle vivait au Etats-Unis où elle débutait dans  la photographie. Quand elle est rentrée, elle a pris cela de plein fouet; quant à mon frère je ne peux pas en parler, car il est tombé très malade quelques mois après la mort de ma mère. Si je me vois comme une survivante? Oui, en phase terminale… moi qui n’ai pas eu d’enfant contrairement à ma soeur qui a pu avoir un fils.

Avez-vous  le sentiment d’avoir hérité de votre mère cette capacité à être une grande amoureuse avec les hommes de votre vie, Claude Berri et Léo Scheer?

Oui mais une amoureuse lucide; pas à n’importe quel prix. Et puis si j’ai su mieux « choisir »,  c’est que je crois que l’on est le symptôme les uns des autres. Je pense que l’on est avec les gens que l’on mérite et que ce n’est pas pour rien que ma mère est tombée folle amoureuse de cet homme. Mais pour moi, les enfants sont sacrés, j’ai réussi à ne pas reproduire ce que j’avais vécu avec les fils de Claude Berri pour lesquels j’ai des liens  fusionnels. J’ai ainsi réussi à me fabriquer une famille.

Etes-vous d’accord avec cette idée reprise par Françoise Dolto que l’on choisit ses parents?

Si c’est ça…C’est violent! Pas pour mon père bien sûr, mais c’est dur. Non… enfin peut-être mais ça n’exclut pas les accidents de parcours.

Reste que vous en avez fait quelque chose de votre vie!

J’ai un peu de mal à l’envisager et je dis ça sans coquetterie. J’espère surtout que j’ai fait quelque chose pour la vie des autres. J’ai rendu la vie de certaines personnes plus douce, moins dure, j’ai accompagné pas mal de gens dans des épreuves difficiles, ça c’est pas mal…Sinon, oui, j’ai écrit quatorze romans. Si j’en ai vraiment fait quelque chose? Je crois que ce n’est pas nous qui décidons de cela.

Si vos parents ont été ceux qui ont « semé » mais sans vous élever, qui dans votre vie s’en est chargé?

Une femme extraordinaire, Olga qui nous a élevés tous les trois. C’est ma mère. Ça a été très dur de la perdre; pour ceux qui ont vu le film Le voile bleu, avec Gaby Morlay, c’était ce genre de femme qui consacrait sa vie aux enfants des autres. Je n’en parle pas dans mon livre car elle était déjà à la retraite lorsque ma mère est morte.

A quel moment de votre vie êtes-vous parvenue à dépasser cette souffrance originelle?

A ma rencontre avec Léo Scheer. Mais c’est un roman, tout n’est pas autobiographique. Je l’ai rencontré lorsque ma mère était encore en vie, mais elle était déjà malade ce que je ne dis pas dans le livre. Je voulais avant tout écrire sur la relation mère /fille. Tout ce qui aurait pu faire pleurer dans les chaumières, ce n’était pas le but; je voulais un roman froid, ne pas attendrir le lecteur par des choses trop faciles. C’est un roman qui est dur pour moi, pour ma mère, sans doute aussi pour l' »Artiste » mais les familles sont dures. C ‘est implacable une famille! Beaucoup de livres traitent de ce sujet et  si ces romans rencontrent des lecteurs, c’est bien parce que le sujet est universel. Notre fonction, c’est de mettre des mots sur les maux des gens. C’est ça qu’on fait, tendre un miroir.

Vous verriez-vous l’adapter au cinéma vous qui êtes également productrice?

C’est drôle, on m’a plusieurs fois posé la question. Maintenant, la fille qui adapte ses propres bouquins, non! Moi, je préfère produire les autres. Je ne vais pas passer ma vie à tourner autour de moi! Justement la production m’aide à sortir du coté égotique de la littérature et d’aider les autres à faire aboutir leur projet. C’est un métier qui n’est pas facile mais intéressant. J’ai en plus eu un très bon professeur…Produire c’est comme une histoire d’amour. C’est du désir, du désir, du désir, sinon, on n’y arrive pas. Après les gens viennent ou pas…

Voilà. C’est fini. La troisième tentative aura été la bonne. Une victoire sur les circonstances qui se plaisaient à ce que la rencontre n’ait pas lieu. Les mères sont puissantes. Mais Nathalie Rheims, l’est plus encore…

 

Par Laetitia Monsacré

 

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