4 septembre 2013
L’opéra à l’usine

C’est la rentrée, et en ce premier jour de l’année scolaire, même Le Figaro pioché à l’aéroport a résolument tourné la page de l’été pour présenter sa sélection opéra, danse et concert d’une saison qui commence fort à l’Opéra de Paris avec deux nouvelles productions commandées à l’incontournable Olivier Py, futur dircecteur du Festival d’Avignon – Alceste de Gluck, dirigé par Marc Minkowski, et Aïda confié à Philippe Jordan – ou encore la très rare Vestale de Spontini au Théâtre des Champs Elysées version Jérémie Rohrer, tandis que Christophe Honoré fera ses premiers pas de metteur en scène à Lyon dans Le Dialogue des carmélites et qu’Agnès Letestu tirera sa révérence dans l’incontournable et magnifique Dame aux camélias chorégraphiée par Neumeier. Mais en attendant de reprendre le métro ou retrouver les embouteillages-selon, voilà notre selection pour qui aime jouer les prolongations avec les festivals dont l’offre en septembre s’amenuise tout en réservant de jolies surprises.

La culture hors de ses temples

Initiée en 2003 par Gerard Mortier, ancien directeur de l’Opéra de Paris,  au cœur du bassin de la Ruhr – entre Duisbourg et Bochum – la Ruhrtriennale est une manifestation pluridisciplinaire qui a voulu tirer parti d’un patrimoine industriel tombé en friche et donner un nouvel élan, par la culture, à cette région en pleine mutation économique. La première édition s’était ouverte avec éclat par la Flûte enchantée déjantée version jeu vidéos et matelas gonflable par la Fura del Baus, plus à l’aise dans les structures métalliques de la Jahrhunderthalle de Bochum que sous le granit de Bastille où elle a été reprise deux ans plus tard, et un remarquable Saint-François d’Assise de Messiaen, vaste fresque que Gerard Mortier défend sans relâche. Proche du fondateur, Heiner Goebbels, son successeur, a porté cette impulsion à son accomplissement, et la Ruhr est devenue pendant six semaines, de la fin août à début octobre, un vaste champ de rencontres artistiques hors des temples consacrés.
C’est ainsi que les installations qui habillent des bâtiments plus soucieux d’efficacité économique que de finesse décorative les transforment le temps d’un happening en lieu de rencontre à la fois esthétique et ludique, à l’instar de l’impressionnante architecture d’eau réalisée par rAndom International au Zollverein, charbonnerie à Essen. Plus de 800 litres d’eau tombent de 500 spots situés à 30 mètres de hauteur et créent une puissante tour de pluie à l’intérieur de laquelle on peut entrer grâce aux imperméables prêtés pour l’occasion. Une amusante expérience où le liquide devient presque solide. Créations lumineuses, mais aussi chorégraphiques  avec Nowhere and Everywhere par le légendaire William Forsythe au Museum Folkwang d’Essen. A n’en pas douter, les dimensions hors-normes de l’espace industriel se moquent des frontières entre les arts.

Rêveries électroacoustiques

On retrouve cette liberté dans les programmations musicales variées : la Salle des Machines de l’entreprise Zeche Carl accueille ainsi aussi bien une soirée de lieder, répertoire chambriste on ne peut plus classique, qu’un concert de musique électro-acoustique, à l’instar de celui du duo Zeena Parkins et Ikue Mori en ce dernier lundi d’août. Phantom Orchard nous invite à un voyage sonore entre ambiances urbaines et extases oniriques. La harpe classique rencontre une autre lyre bourrée d’électrodes d’où sortent des sons aussi saturés qu’une guitare électrique. Si la virtuosité informatique n’a pas à pâlir aux côtés des explorations très sérieuses de l’Ircam, les improvisations nous font découvrir la poésie insoupçonnée du frottement de feuilles de papier et autres babioles que l’on entend avec une oreille neuve. Un spectacle accessible qui ne verse jamais dans le mercantile, preuve que l’art  – et la musique en particulier – est d’abord question de savoir-faire.
La brochure rouge du festival entre les mains, et on y lit les noms de Robert Wilson pour La Jeune Fille aux Allumettes d’Helmut Lachenmann, De Keermaeker, Robert Lepage, ou encore le Sacre du printemps revisité par Roméo Castellucci : un programme époustouflant qui fait de la Ruhrtriennale une des scènes incontournables de la création européenne. Et l’occasion d’un saut pour tout mélomane averti à moins de quatre heures en Thalys de Paris…

Par Gilles Charlassier

Festival de la Ruhrtriennale , jusqu’au 6 octobre 2013, infos

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