3 octobre 2012
Philippe Labro, la 51 ème étoile

Dans son dernier livre  Mon Amérique, Philippe Labro rend hommage à cinquante figures américaines; autant d’étoiles qui composent le drapeau américain. A en juger sa vie, la sienne a été bonne. Elle lui a offert une trajectoire qui a su ne jamais tomber « dans le fond de commerce », tantôt écrivain tantôt cinéaste, parolier ou homme de média qu’ils soient écrits, radiophoniques ou télévisés. Un « beau livre » qui est l’occasion, pour cet  homme qui porte toujours sa « college ring » au doigt,  de revenir sur son appétence pour les Etats-Unis qu’il a découvert à la faveur d’une bourse à 18 ans. Deux années d’immersion totale puis la rencontre à son retour avec Pierre Lazareff, homme visionnaire s’il en est, qui n’eut de cesse de  l’envoyer, dix ans durant, raconter cette Amérique dans les colonnes de France Soir. Aujourd’hui, ce journal a disparu mais Philippe Labro est toujours là, avec cette élégance propre à toute une génération, aux rangs de plus en plus clairsemés. Les citations émaillent ses propos, assis dans son magnifique bureau beige, non loin du Trocadéro, aux murs tapissés des clichés, en couleurs pour les photos personnelles ou en  noir et blanc comme ce portrait d’Hemingway tandis que le petit garçon qu’il fut et auquel il a consacré un roman continue de collectionner des crayons à papier de toutes sortes, soigneusement alignés ou en pot. « Avec une gomme « précise-t’il « pour pouvoir effacer ».  Il a pourtant inscrit ses succès dans le « dur »-romans ou films tandis qu’il continue chaque mercredi soir depuis 2008 à jouer au chef d’orchestre dans Langues de bois s’abstenir sur la chaine Direct 8 dont il a été à l’origine avec Vincent Bolloré et qui deviendra D8 ce dimanche. Un vrai bonheur pour un homme qui aime autant les échanges humains que le plaisir d’être soliste. Et le prétexte à une conversation vivifiante où les mots sortent avec précision tels une musique -sans fausse note.

Que va changer pour vous la transformation de Direct 8 en D8, sachant que c’était votre enfant commun avec Vincent Bolloré?

Pour l’instant, il va y avoir plus de moyens-les nôtres étaient pour l’instant très limités…De nouvelles têtes, de nouvelles émissions. Quand à la mienne, elle restera identique, à la même heure certes tardive-23H30-mais qui correspond à notre public de gens qui regardent tard la télévision ou rentrent tout juste du spectacle. Nous serions moins regardés si nous étions plus tôt! La semaine dernière nous avons ainsi fait un pic à 4%. J’aime en tous cas cette idée de lâcher mes invités en les tenant en « longue » laisse; quatre personnes qui s’affrontent -plus ou moins deux de gauche , deux de droite, et que je sois celui qui aiguille. C’est pour moi ce que Montaigne appelait « le frottage des cervelles ». Je le conçois comme un film, avec un casting. C’est quoi un metteur en scène? Quelqu’un qui est au sommet d’une pyramide qui est composée d’artisanat de personnalités différentes. Il n’y a d’ailleurs pas que les quatre débateurs mais également la rédactrice en chef Bérengère de Termont, deux journalistes qui réalisent les sujets et toute l’équipe technique. Je trouve qu’il y a une euphorie dans le travail collectif et l’utilisation de talents parfois supérieurs au sien. Je vais faire venir des nouveaux cette année, des gens avec un petit peu de « chou » comme on dit, à l’image de Thomas Legrand,  avec en plus l’avantage de la télévision sur la radio de voir les mimiques.

Son assistante nous apporte alors « Mon Amérique » publié aux Editions de La Martinière, tout juste sorti des imprimeries et en vente le 11 octobre.

L’Amérique et vous, c’est pour toujours, à l’image de cette bague que vous portez encore?

On me la reproche souvent, les américains d’ailleurs  la portent  un peu pendant les années universitaires puis la retirent, à l’exception des militaires. La mienne est devenue un objet fétiche, poli par le temps; elle date de 1956 et fait partie de ma vie. Cela peut paraitre à certains un peu ostentatoire ou vulgaire mais c’est moi. Je suis identifié aujourd’hui comme un « américanologue » comme il y a des criminologues. Américanophile, sans aucun doute, ce qui ne veut pas dire que je sois aveugle, au contraire. Lorsque l’éditeur est venu me proposer l’idée il y a huit mois, j’ai dressé une liste de 300 personnages puis il a ensuite fallut faire des impasses. Obama? Il n’est pas encore entré suffisamment dans l’histoire, en tous cas dans la mienne, pour y figurer. Il y a en revanche Kennedy-j’ai eu la chance de pouvoir aller à Dallas comme journaliste le lendemain de son assassinat-Roosevelt ou Lincoln. Pour la littérature, j’ai conservé les cinq /six que j’aime et qui m’ont beaucoup marqué, inspirant mon écriture: Faulkner pour son univers,  Steinbeck, pour ses deux chef-d’oeuvres-Des souries et des hommes et Les raisins de la colère,  Wolfe- un ami et le grand renouveau du journalisme des années 60 devenu un grand romancier, Hammett pour le roman noir,et bien sûr Hemingway, Fitzgerald et Truman Capote. Il fallait faire un choix; j’ai laissé Philip Roth sur le bord de la route, avec Mailer, Styron, Updike, Harrison- un paquet de gens! Mais il n’y en a que cinquante pour s’intéresser aussi bien au sport qu’à la musique, le cinéma, c’est un choix. J’écris à la première personne pour avoir un caractère intimiste et travaillé sur ma mémoire, mes années d’étudiant là-bas et sur mes  années de journalisme où j’ai parcouru le pays, fabriquant ce que j’appelle « un paysage mental ». Ma particularité c’est d’en avoir deux, un français et un américain. J’aurai pu faire aussi Ma France.

Vous auriez pu faire votre vie là bas?

Je ne suis pas certain. J’ai vite senti dès l’âge de 20 ans( je suis revenu en France pour faire la guerre d’Algérie) ce que j’appellerai « le grand vide américain » que peint si bien Edward Hopper (qui est dans son livre et la semaine prochaine l’objet d’une rétrospective grandiose au Grand Palais) et en même temps la grande hypocrisie, l’artifice, le sourire derrière lequel il n’y a rien d’autre qu’un sourire, enfin tout ce qui fait une société-pas seulement les américains d’ailleurs. Je me suis en tous cas dit que ce n’était pas tout à fait pour moi; si j’y étais resté,  je ne suis d’ailleurs pas certain que j’aurais fait ce que j’ai fait en France, pouvoir marier mon éclectisme pour le cinéma, la littérature, la radio, la télé et même des chansons pour un certain nombre de chanteurs. Je suis juste allé me tremper dans un bain différent, lequel m’a pour la vie entière transformé.

Y allez vous pour les prochaines élections?

Non, je ne pense pas. J’y vais deux fois par an mais j’ai cette astreinte régulière avec l’émission et puis ce livre qui sort.

En pleine saison des prix littéraires, que vous reste- t’il de ce fameux prix Goncourt que vous avez raté à deux reprises?

Il y a eu des milliers d’écrivains français qui ne l’ont pas eu, ce n’est pas très grave; c’est même très utile de ne pas l’avoir. Je suis entré alors dans cette compétition avec Gallimard en sachant que nous avions une chance sur dix. J’en ai tiré des très bonnes conclusions qu’une consécration pareille ne m’aurait pas été forcément bénéfique. Et quelques leçons pour mieux rebondir ensuite, avec cette idée d’avoir échappé à une institutionnalisation, un confort qui ne m’aurait peut être pas conduit à faire tout ce que j’ai fait depuis.

Comme écrire ce récit sur votre dépression, dans Tomber sept fois se relever huit?

C’est parce que c’est arrivé, cette histoire est un combat, celui d’un soldat-moi-qui est sorti des tranchées et a failli mourir. Une fois que j’en suis totalement sorti, beaucoup de gens m’ont demandé de leur en parler; sur ce canapé où vous êtes assise, certains sont venus presque en consultation! Je me suis dit que j’avais la chance de savoir raconter quelque chose qui m’était arrivé, et que je pourrais en faire comme un reportage à l’intérieur de moi-même mais de façon littéraire, sans inventer un mot. C’est la reconstitution de cette maladie, car c’est une maladie dont souffre un français sur cinq. Ce livre a eu un succès considérable avec un courrier auquel je n’ai pas pu répondre tant il était important et j’ai bien compris qu’il avait touché quelque chose dans l’inconscient de tous ceux qui l’ont eux-mêmes vécu. Cela m’a permis d’avoir plus de maturité et une plus grande connaissance des autres. Ombres et lumières, l’émission que j’ai animé après, petite « analyse » d’une personnalité sur 25 minutes, n’aurait pas été ce qu’elle a été sans cela. Ma dépression m’a donné une meilleure connaissance, une empathie comme on dit, avec cette idée d’écouter la réponse de la personne que vous interviewez, et d’aller un peu plus loin. Et tans pis si le listing de questions que vous aviez établi n’est pas rempli, ce n’est pas grave. Au moment où quelqu’un vous parle, c’est ce qu’il vous dit qui doit vous amener à tirer le fil de la pelote. J’ai adoré faire cela avec ce petit génie de réalisateur qu’est Gérard Pullicino, cette caméra qui tourne et ce jeu de miroir inspiré par la Dame de Shangaï d’Orson Welles, le tout sans jingle, sans public-rien qui gêne la découverte de cet être humain qui était là. Je suis convaincu que mes expériences de tomber dans le néant et d’en ressortir m’ont beaucoup aidé pour réussir cela. Pascal disait qu' »il est un bon usage des maladies », je me suis bien servi de celle là! Pour me connaitre et mieux m’accepter.

Nous parlons alors de ses lectures du moment, « ses nourritures terrestres » avec Le journal d’André Gide et Gatsby, le magnifique de Scott Fitzgerald-sa tête se tourne vers le ciel comme pour lui rendre grâce lorsqu’il en parle-« Scott est partout, il est dans cette pièce », son goût pour la photographie, pour la musique classique-« une journée sans elle est une journée perdue » précise-t’il, adorant les solistes et les autres musiques, le rock, le jazz ou la variété.

L’heure touche à sa fin-contrat tacite entre nous avec cet homme « éclectique, pas boulimique » qui dit vivre comme une tragédie le manque de temps. Du temps pour sa femme Françoise,  « au goût inouï » (elle est en charge de Ralph Lauren Home en Europe, Middle East  et Russie) qui partage sa vie depuis 35 ans, ses enfants qui ont chacun été chercher, comme leur père, quelque chose en Amérique, son nouveau statut de grand père-le livre est dédié à ce petit fils, avec ce constat qu’aucun d’eux n’a fait « comme papa ». Et cette addiction pour la presse, le plaisir de chercher « le journal ». Que lui souhaiter pour le futur? « Un corps sain dans un esprit sain » dit-il en riant, précisant attendre aussi que le livre rencontre son public avec ce talent comme il l’écrit pour Robert de Niro de « tout faire passer sans pratiquement rien dire ».

 

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

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